Les Palestiniens. Lignes de vie d’un peuple, écrit par les journalistes Mélinée Le Priol et Chloé Rouveyrolles, est un recueil de témoignages et d’entretiens de Palestinien·nes de Cisjordanie, de Gaza, de différents camps de réfugié·es en Égypte et au Liban, et même de Palestinien·nes qui vivent en Israël (iels constituent 20 % de la population israélienne et sont appelé·es « Arabes israëliens », « Palestinien·nes de l’intérieur » ou « Palestinien·nes de 1948 »).
Iels sont ancien·nes combattant·es pour la liberté, militant·es, universitaires, médecins, artistes, entrepreneur·ses, membres d’ONG, ouvriers. Quelques-un·es sont connu·es en France, comme Leïla Khaled (militante au Front populaire de libération de la Palestine), la cinéaste Annemarie Jacir (née en 1977 dans la région de Bethléem), ou encore Karim Kattan (écrivain franco-palestinien, qui livre le mot de la fin).
Ces récits, de quelques pages chacun, donnent à voir les aspects historiques, politiques, religieux, culturels et économiques d’un territoire colonisé depuis un siècle par Israël. L’introduction, très synthétique et limpide, permet d’avoir en tête quelques éléments historiques clés, comme la création de l’état d’Israël et l’exode massif des Palestinien·nes, appelé la Nakba (« catastrophe » en arabe) en 1948, et la guerre des Six-Jours en 1967 ; deux événements qui ont participé à l’émergence du nationalisme palestinien. D’autres éléments historiques sont mentionnés, comme les deux Intifada, avant et après les accords d’Oslo en 1993 qui ont mené à la création de la mal nommée Autorité palestinienne.
Ce recueil de textes fournit quelques bases pour comprendre les enjeux : le symbole de la terre et de la figure paysanne aux yeux d’un peuple plusieurs fois déraciné, le chômage de masse (40 % en Cisjordanie en 2018), l’économie palestinienne perfusée par les aides internationales et paralysée par Israël, l’importance des traumatismes (40 % des hommes palestiniens sont allés en prison, pour y être humiliés, torturés et violés)...
Comment se construire en tant qu’individu au sein d’un peuple de « vaincu·es2 », profondément marqué par l’exil, les traumatismes ; un peuple considéré comme terroriste ? Qui sommes-nous pour juger les Gazaoui·es, qui vivent dans une prison à ciel ouvert, dans la région la plus densément peuplée au monde3, dans la misère et la peur, lorsqu’iels emploient la violence en légitime défense ? Comment vivre librement sa sexualité et ses passions dans une société traditionnelle, conservatrice, patriarcale et gagnée par le mouvement islamiste ?
Comment faire perdurer la culture de la résistance, ce que les Palestinien·nes appellent le sumud (« ténacité », « tenir bon »), quand la perspective d’une amélioration de la situation s’amenuise de génération en génération ?
Depuis octobre 2023, au moins 38 000 personnes ont été tuées à Gaza, en grande majorité des civil·es et des enfants (la moitié de la population a moins de 20 ans), mais un article récemment paru dans la revue scientifique The Lancet estime à 186 000 le nombre de morts directes et indirectes à Gaza depuis cette date. Plus de 88 000 personnes ont été blessées, des milliers d’autres sont portées disparues, probablement ensevelies sous les décombres, sans compter les 2 millions déplacées. Endeuillées, affamées, mutilées, torturées, violées et traumatisées à vie.
Pour l’état d’Israël, l’horreur des attentats du 7 octobre 2023 menés par le Hamas a été le prétexte pour éradiquer définitivement l’enclave de Gaza, pour parachever une extermination de masse et l’accaparement de cette terre qui a commencé il y a un siècle.
Derrière ces chiffres qui défient l’entendement, il y a des vies intimes, des familles, des gens comme vous et moi. Que sont devenues les sœurs Walaa, Asmaa et Husna, âgées de 19 à 28 ans en 2018, qui vivaient dans la bande de Gaza ? Ont-elles pu réaliser les rêves qu’elles ont confiés aux deux journalistes, ou ont-elles péri sous les 70 000 tonnes de bombes lâchées par Israël depuis octobre 2023 ?
L’ouvrage de Mélinée Le Priol et Chloé Rouveyrolles constitue, à mon sens, une excellente entrée en matière pour comprendre la Palestine et la colonisation israélienne. Je regrette seulement que nous ne sachions pas comment les personnes ont été rencontrées et choisies pour témoigner.
L’indifférence et l’inaction tuent. Collectivement, nous avons une responsabilité, nous devons exprimer notre refus de la colonisation et notre soutien envers tous les peuples opprimés. Car céder à la déshumanisation des Palestinien·nes, c’est perdre notre propre humanité.
Essais
Khalil Tafakji (avec la collaboration de Stéphanie Maupas) 31° Nord 35 ° Est
Edward Bernays Propaganda
Mathieu Rigouste La Domination policière
Peter Gelderloos Comment la non-violence protège l’Etat
Chris Harman Un siècle d'espoir et d'horreur, une histoire populaire du XXe siècle
Association Survie Françafrique, la famille recomposée
Littérature
Susan Abulhawa Le bleu entre le ciel et la mer
Émilie Tôn Des rêves d’or et d’acier
Alice Zeniter L’Art de perdre
Les Palestiniens. Lignes de vie d’un peuple
Mélinée Le Priol et Chloé Rouveyrolles
Ateliers Henry Dougier
2018
144 pages
14 euros
1. Page 127. -2. Page 62. -3. Plus de 2 millions de personnes sur un territoire de 365 km2.