Cet ouvrage, publié par les éditions du commun (indépendantes et engagées), raconte l’histoire de la ferme de Lespinassière près de Toulouse, une des premières communautés Emmaüs pour la réinsertion sociale et professionnelle des prisonniers. Il montre qu’une véritable alternative à la prison est possible, pour le bien des personnes incriminées, mais aussi pour la région et la société dans son ensemble. Une lecture passionnante, instructive et inspirante !
La prison n’est pas efficace, tant pour la personne incriminée que pour la société. Pour la personne incarcérée, c’est une « mort sociale », une précarisation de plus, un cycle de violences sans fin. Lorsqu’une personne est derrière les barreaux, il lui faut avant tout survivre au sein d’un système déshumanisant et humiliant, sans possibilité de mener une réflexion sur ce qui l’a amenée à transgresser des règles et à commettre des crimes (tels que définis par l'État lui-même). Par exemple, il n’y a pas d’espace pour régler les problèmes d’addiction ou les problèmes psychologiques.
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Une fois qu’elle sort de prison, elle est précarisée, isolée, désorientée (au sens propre comme au figuré), et poussée à commettre de nouvelles infractions pour survivre, surtout si elle est sans diplôme, sans logement, sans tissu social stable. Et dans une société de plus en plus facho, la situation est pire si la personne est racisée. La prison n’empêche absolument pas la récidive, au contraire ! Tôt ou tard, la violence qui lui est infligée par l’emprisonnement resurgira collectivement, sans parler du fait que l’incarcération est très coûteuse pour l’État.
« En enfermant des humains dans des conditions de proximité intenables et en les soumettant à une régime afflictif, la prison réussit un véritable tour de force : elle transforme des “coupables” en “victimes”. En aggravant la situation économique, sociale, relationnelle et psychologique des personnes détenues, l'emprisonnement fait nécessairement croître le risque de récidive. C’est ainsi qu’au nom de la sécurité publique, l’État produit davantage d’insécurité2. »
La communauté Emmaüs de Lespinassière, à deux heures de Toulouse, est l’une des rares véritables alternatives à la prison en France. Elle est pensée comme un sas pour que les prisonniers se réadaptent à la vie extérieure.
Durant 9 mois à 2 ans, les prisonniers achèvent leur peine dans la ferme, dans le cadre d’un contrat de travail de 26 heures hebdomadaires. La réinsertion par le travail, principalement autour du maraîchage bio, est salvatrice à plusieurs égards. Je pense à Marcel qui est heureux d’expliquer à des visiteur·ses en quoi consiste son activité au sein de la communauté. Il est enfin reconnu comme un être humain « normal », utile à la société !
Mais la réinsertion par le travail, c’est la partie visible de l’iceberg. Les 10 résidents de cette communauté ont besoin d’un accompagnement personnel : outre l’accompagnement administratif pour préparer « l’après », ils ont besoin de gagner en autonomie, en estime de soi, en responsabilisation, à l’instar de Jacques qui a été dépossédé des choix les plus basiques pendant 30 ans. Les résidents ont besoin de se (re)construire, d’apprendre à gérer leurs émotions, leurs addictions, leurs problèmes psy. Quand on n’a connu que la violence depuis l’enfance, comment interagir autrement avec les autres ? Comment gérer l’addiction à l’alcool qui a précisément entraîné la commission d’un crime et l’enfermement ?
Au-delà de la réinsertion des prisonniers et du regard qu’on porte sur eux, la ferme de Lespinassière a permis de dynamiser la vie sociale, culturelle et économique du village. La communauté organise des événements culturels, développe progressivement de nouvelles activités économiques selon les envies et les capacités des résidents et les besoins locaux, et rend des services aux habitant·es âgé·es de Lespinassière. En fait, la communauté s’est tellement bien insérée dans le tissu social de la région que certains résidents ont décidé de s’installer dans le coin une fois leur séjour terminé !
« Pour nous, le départ de Jacques, qui trouve un logement, se rapproche de sa mère, a une assistante sociale, se débrouille à peu près seul pour la première fois de sa vie, car il a toujours vécu aux crochets de quelqu’un, c’est une sortie très positive. Il faut voir d’où ils partent… Jacques avait l’air d’être resté dans l’adolescence, dans le passé. On ne récupère pas, en quelques mois, trente ans de vie passés en prison4. » (Laura)
Cependant, dans le livre, personne n’enjolive la communauté de Lespinassière. La vie en communauté ne convient pas à tout le monde, surtout après avoir passé des années dans des cellules surpeuplées, et l’équilibre émotionnel est difficile à trouver au sein d’un groupe de personnes ayant des parcours chaotiques.
Les encadrant·es, qui ne sont pas des surveillant·es comme en prison, s’impliquent beaucoup et ont conscience de ne pas toujours parvenir à accompagner les résidents vers « l’après ». Car, malgré leurs efforts, certains résidents sont retournés en prison pour finir leur peine.
J’ai trouvé cet ouvrage passionnant et instructif, car Sarah Dindo, qui a longtemps travaillé à l’Observatoire international des prisons, s’est immergée au sein de la communauté de Lespinassière pour décrire précisément sa genèse, son financement, son fonctionnement, ses réussites et ses difficultés administratives, matérielles et humaines.
Dans cet ouvrage publié par les éditions du commun (indépendantes et engagées), l’autrice a vraiment laissé la part belle aux témoignages : celui du fondateur Samuel Gautier, des bénévoles, des salarié·es, des résidents, mais aussi du maire de Lespinassière et de ses habitant·es.
Certes, la communauté de Lespinassière, avec ses 10 résidents, est une goutte d’eau par rapport au nombre de prisonnier·ères (73 000 en France en 2023), mais elle est à mon sens une expérience précieuse et inspirante. La ferme de Lespinassière est la petite sœur de celle de Moyembrie près de Reims, et plusieurs autres communautés du même genre sont en train d’essaimer un peu partout sur le territoire !
Ces communautés sont une véritable alternative à la prison, mais aussi au système de surveillance avec bracelet électronique qui condamne les prisonnier·ères à rester chez elleux, et leur famille (majoritairement les épouses et lesmères…) à assurer l’ensemble des tâches extérieures (les courses par exemple) qu’iels ne peuvent pas accomplir.
Une lecture qui complète à merveille La prison est-elle obsolète ? d’Angela Davis et d’Un job pour tous de Christophe Deltombe, sur les communautés Emmaüs ouvertes à tous les publics.
Essais
Angela Davis La prison est-elle obsolète ?
Christophe Deltombe Un job pour tous. Une autre économie est possible : l'expérience Emmaüs
Mathieu Rigouste La Domination policière
Didier Fassin La Force de l'ordre
Récits
Assata Shakur Assata, une autobiographie
Sante Notarnicola La révolte à perpétuité
Rubin Carter Hurricane Le 16e round
Makan Kebe « Arrête-toi ! »
Emma Goldman Vivre ma vie
Louise Michel La Commune
Littérature
Jean Meckert Nous sommes tous des assassins
Dorothy B. Hughes À jeter aux chiens
Amanda Eyre Ward Le Ciel tout autour
Jean-Denis Bredin Un coupable
Emmanuel Carrère L'Adversaire
Leila Mottley Arpenter la nuit
Jenni Fagan La Sauvage
Jeunesse
Cathy Ytak Les Mains dans la terre
Entre taule et terre
Construire une alternative à la prison
Sarah Dindo
Éditions du commun
2023
304 pages
15 euros
1. Page 21. -2. Page 13. -3. Page 136. -4. Page 242.