La Battue ≡ Louis Witter

21.04.2025

Le journaliste Louis Witter nous emmène à la frontière de Calais, où il a observé la vie des migrant·es qui tentent de traverser la Manche pour se rendre en Angleterre.

« L’état de survie permanent, c’est le propre de la traque et de la chasse. Confisquer les tentes, assoiffer, affamer, contrôler, arrêter, détenir¹. »

« Zéro point de fixation » est la politique inhumaine et toujours plus « sécuritaire » déployée par l’État depuis 2016 : toutes les 48 heures, les camps des personnes exilées sont évacués, à Grande-Synthe notamment. Leurs tentes sont déchirées, leurs affaires jetées à la poubelle ou incinérées pour qu’elles ne soient pas réutilisées (c’est clairement du vol). Les personnes qui acceptent de monter dans les bus de la police sont envoyées dans des « centres d’accueil » à l’autre bout de la France, vers une destination le plus souvent inconnue, et très loin de la frontière… C’est un véritable harcèlement pour maintenir les personnes exilées dans un état de survie, d’inconfort, d’insécurité, tant matériels que psychologiques.

« “Zéro point de fixation”, c’est en fait zéro moment de répit². »

Une politique dite « sécuritaire », mais qui est véritablement en danger ? Car les personnes exilées sont des hommes, des femmes, des enfants qui ont fui une situation terrible dans leur pays (Soudan, Erythrée, Syrie, Irak…). L’État leur donne juste assez pour ne pas être accusé de les tuer, mais elles survivent à des conditions terribles dans des bidonvilles sans eau courante ni nourriture, sans chauffage et sans soins médicaux. Dans les camps, elles risquent la mort à cause des maladies et, si elles parviennent à monter à bord d’une embarcation de fortune, elles risquent de mourir dans une eau à 14 degrés, dans l’indifférence totale.

La répression est la seule réponse apportée par l’État : la police est sur-armée, avec des voitures tout-terrain, des lunettes de vision nocturne et des détecteurs de CO2, des avions pour quadriller la zone, dont les vols n’apparaissent visiblement pas sur le site de suivi des aéronefs.

Les évacuations sont coûteuses, violentes et inefficaces : les personnes exilées reviennent ou se déplacent un peu plus loin. Elles prennent même davantage de risques pour passer la frontière et éviter la prochaine expulsion. Le journaliste dit que le nombre de tentatives de traversée de la Méditerranée est proportionnel à l’intensification des expulsions. En 2024, presque 37000 personnes ont tenté de franchir la Manche, et 89 en sont mortes.

Sarkozy disait qu’il fallait mettre fin « à un symbole d’appel d’air de l’immigration clandestine dans le monde³ ». Il ne faudrait pas accueillir dignement les personnes exilées pour décourager l’immigration. Mais c’est oublier qu’elles fuiront leur pays quoi qu’il arrive, dans l’espoir d’un avenir meilleur, même si elles sont privées de tout en France, sans existence légale, sans aucun droit.

Et, dans ce cas, pourquoi la France a-t-elle accueilli de manière massive, unanime et humaniste plus de 100 000 Ukrainien·nes au début de l’invasion de la Russie en 2022 ? C’est bien un choix politique et éminemment raciste, puisqu’elle se gargarise de se montrer solidaire avec les personnes blanches tandis qu’elle déshumanise, violente et tue les personnes non blanches.

Même les associations qui viennent en aide aux personnes exilées sont triées sur le volet par l’État. Il y a les « bonnes » associations (La Vie active) qui sont autorisées à accéder aux camps, et les « mauvaises » (notamment Utopia 56, Human Rights Observers et L’auberge des migrant·es), dont les bénévoles sont régulièrement harcelé·es par la police pour les empêcher de faire des maraudes et des distributions de produits de première nécessité.

Mon avis

Tant d’inhumanité et d’indifférence me fait mal au cœur. C’est un ouvrage pas évident à lire sur le plan émotionnel (même s’il n’y a pas de détails sordides), mais intéressant et facile d’accès pour appréhender la question des migrations et « le non-accueil à la française⁴ ».

J’aurais aimé avoir le témoignage de passeurs pour connaître davantage le fonctionnement de cette traite humaine, mais l’enquête est rendue particulièrement difficile par la police qui harcèle aussi les journalistes ! Les autorités publiques ont toujours la volonté de maîtriser la communication officielle, et les CRS n’ont pas toujours leur RIO qui permet de les identifier…

J’envisage quand même de lire un ouvrage plus spécifique sur la politique de l’UE et le rôle de Frontex, car les pays européens se renvoient sans cesse la responsabilité de l’accueil des personnes exilées de pays qu’ils ont eux-mêmes participé à coloniser.

Une bonne première approche qui redonne leur humanité aux personnes exilées et aux bénévoles qui les soutiennent.