Paola Pigani
Éditions Liana Levi
2015
Merci à Libfly !
Nous sommes en 1999. Simona et Mirko, la vingtaine, ont fui la guerre du Kosovo (ou Kosovë en albanais) et leur famille massacrée ; ils ont traversé l’Europe et vécu dans des camps de réfugiés. Ils vivent à présent à Lyon où ils tentent de demander l’asile.
Chacun vit sa souffrance et sa nostalgie d’une manière différente. Tandis que Simona se jette à corps perdu dans l’apprentissage du français au magasin de vêtements où elle travaille, Mirko se fait silencieux sur les chantiers le jour et graffe la nuit dans les usines désaffectées.
« — Ça va, Ousman ? Tu connais niveau de vie moyen, traitement préventif, signe ostentatoire religieux ?
Simona garde les mots en bouche comme des bonbons. Elle en suce le silence jusqu’à ce que son cerveau veuille bien associer les images aux sons, aux lettres, et restituer une partie de leur corps. Elle roule sa voix sur cette nouvelle langue. Elle l’aime. Elle la crache. Elle la chante avec toute la hargne qui l’habite. C’est une histoire tendre et nerveuse qui lui coûte du temps. Simona s’en fiche2. »
Dans le roman de Paola Pigani, ceux qui viennent d’ailleurs ne sont pas seulement Simona et Mirko du Kosovo. À travers leur histoire, il est question de toutes les émigrations, les actuelles et les anciennes. Sur leur chemin, sans cesse confondu avec celui des Roms, Simona et Mirko rencontrent des Soudanais, des Tchétchènes, un vieil Italien et un Portugais qui en leur temps étaient aussi des immigrés en France. Mais quoi qu’il advienne, comme le dit Ousmane, lui ne pourra jamais devenir aussi français que Simona, car il est noir : pour l’administration française, toutes les migrations ne se valent pas. La portée de ce roman, la souffrance de l’exil entremêlant les différentes vagues d’immigration, se veulent universelles.
Le parcours de Simona est celui qui m’a le plus touchée. Elle a le désir viscéral, combattif, d’apprendre la langue, effacer son accent pour effacer ses origines. Elle semble enfermer en elle ses souffrances, qui rejaillissent seulement sur le papier, dans ses écrits, ses correspondances, mais pas dans son quotidien. J’ai été d’autant plus emportée par son histoire que j’adore le français, bien sûr, mais que j’ai beaucoup de mal à apprendre d’autres langues. Je suis admirative des gens qui parviennent à apprendre une langue étrangère à un tel niveau, comme Simona.
Paola Pigani aime ses personnages et les décrit avec délicatesse ; elle capte des scènes évocatrices d’un état d’esprit, d’une douleur inaliénable. Venus d’ailleurs est un texte très beau, écrit dans une langue imagée qui pourtant ne se laisse pas facilement apprivoiser. J’ai noté de nombreux passages très beaux que je ne peux pas tous citer, mais que je vous invite à découvrir par vous-même !
Pascal Manoukian Les Échoués
1. Page 18. -2. Pages 27-28.
Venus d’ailleurs
Paola Pigani
Éditions Liana Levi
Collection Littérature française
2015
176 pages
17 euros