Louise Erdrich
Albin Michel
2005
Le jeune allemand Fidelis Waldvogel impressionne par sa voix, sa force sereine, sa faculté d’immobilité, son adresse exceptionnelle qui lui ont permis de survivre à la Première Guerre mondiale. Quelques années après la guerre, Fidelis Waldvogel émigre avec sa femme Eva aux États-Unis, où il devient boucher comme son père. Dans la petite ville d’Argus du Dakota du Nord, à la frontière du Canada, il devient réputé pour les saucisses de Frankfort.
Le couple Waldvogel emploie Delphine Watzka, d’origine polonaise, dont le père est un alcoolique invétéré. Delphine a parcouru la région avec son ami Cyprian en faisant des tours d’équilibriste, mais la santé de son père alcoolique l’incite à rester à Argus.
Tandis que Fidelis, homme mutique et réservé, peine à trouver ses mots en anglais, ses fils s’adaptent parfaitement à la culture américaine. Mais la Seconde Guerre mondiale approche et marquera à jamais l’histoire des Waldvogel.
« Puis Gast se mit à faire danser le ballon d’avant en arrière d’un bout à l’autre de la scène. Au milieu des rires et des cris, il feignit d’avoir du mal à maintenir Cyprian en l’air. Ils restèrent en équilibre sur un bras, sur une jambe, puis il se passa quelque chose d’horrible et de merveilleux. Le peu séduisant postiche que portait Vilhus Gast glissa petit à petit de sa tête. Au grand ravissement des garçons et au milieu des cris perçants des dames, la vilaine perruque s’avéra être une araignée géante. D’une démarche délicate, effrayante, la chose remonta tranquillement le long du bras de Gast, s’avança vers le coude de Cyprian, puis, tandis que celui-ci redescendait à terre, enlaça son crâne nu et y demeura2. »
L’univers de La Chorale des maîtres bouchers évolue dans une ambiance douce-amère. Louise Erdrich voue une affection toute particulière à ses personnages, et cela se ressent. Cette chronique familiale s’appuie beaucoup sur les détails du quotidien, que l’autrice a su rendre étonnamment intéressants, tout en parvenant à faire planer un sentiment diffus et constant de danger. Je n’aurais pas cru me laisser prendre par des événements infimes, racontés avec pudeur et une certaine densité. J’ai été très touchée par l’amitié qui unit Delphine et Eva, et la plupart des personnages sont attachants, mais je garde surtout en mémoire les femmes en quête de leur autonomie, comme Clarisse, Un-Pas-Et-Demi, Tante et surtout Delphine, qui souhaitait faire du théâtre et dont le parcours a dévié vers les Waldvogel.
Toutefois, j’ai trouvé l’équilibre fragile, car le roman côtoie le drame familial autant que la douce banalité d’une vie ordinaire, mais chapitre après chapitre, Louise Erdrich reprend du souffle, chasse l’ennui en apportant de nouveaux rebondissements, si infimes soient-ils, dans les cœurs de ses personnages. Pourtant, là où le bât blesse, c’est lorsqu’elle utilise trop facilement la mort comme joker pour créer des rebondissements supplémentaires.
Par ailleurs, la relation aux animaux aurait pu avoir davantage de place. Ils sont tués avec habileté et fermeté par Fidelis, puis découpés et assaisonnés par ses soins, à la façon allemande ; tandis qu’au quotidien les chiens domestiques font partie intégrante de la famille. Alors pourquoi, page 66, Fidelis pleure-t-il, pour la seule et unique fois, la mort du cochon qu’il est en train de tuer, ce cochon qui se débat parce qu’il sent qu’il va mourir ?
Si vous aimez les ambiances douces-amères, faites des petites choses du quotidien et des grands élans du cœur, de personnages attachants rattrapés par l’histoire du XXe siècle, cette chronique familiale est pour vous !
Upton Sinclair La Jungle
1. Page 505. -2. Page 468.
La Chorale des maîtres bouchers
(The master butchers singing club)
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez
Louise Erdrich
Le Livre de poche
2014
578 pages
Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !