À travers une soixantaine d’entretiens avec des salarié·es d’ONG, d’associations, d’organisations politiques, des employeur·ses et des chercheur·ses, Arthur Brault-Moreau a enquêté sur le·la « patron·ne de gauche » qui maltraite ses salarié·es. Ces personnes témoignent de violations du droit du travail sur la rémunération, le temps de travail, la sécurité, les représentant·es du personnel, et de harcèlement.
Comment reconnaître un·e patron·ne de gauche ? C’est souvent cellui qui n’assume pas sa fonction d’employeur·se, qui n’assume pas qu’au sein de son organisation, il y a inévitablement des conflits et des rapports de domination. La subordination salariale et tout le cortège de dominations classistes, sexistes, hétérocis, racistes et validistes ne se sont pas gentiment arrêtés au seuil de son organisation militante !
L’un des principaux ressorts du management du·de la « patron·ne de gauche », c’est l’idéologie, c’est le besoin de s’engager pour une cause qu’on croit juste et nécessaire, ce sont les sacrifices qu’on est prêt·es à faire pour mener à bien des stratégies et des actions pour un monde meilleur, c’est la séparation floue entre le temps de travail et le militantisme bénévole.
Consciemment ou non, le·la « patron·ne de gauche » utilise notre engagement comme un mode de management pour obtenir notre obéissance et notre silence : le plus important c’est la cause, tout le reste ー les conditions de travail ー importe peu. Toute revendication salariale est alors traitée comme une trahison envers l’identité profonde de l’organisation, et donc envers la cause elle-même.
Pour camoufler son autorité, le·la patron·ne de gauche se la joue « camarade de lutte », et va jusqu’à revendiquer que son organisation est horizontale, démocratique. Pas de patron·ne = pas de salarié·es. Ainsi livré·es à elleux-mêmes, les salarié·es sont amené·es à remplir toutes les missions, mais sans les moyens de l’employeur·se, ce qui les conduit à culpabiliser et s’autoexploiter. Direction le burn-out !
Le syndrome du patron de gauche, publié par les éditions Hors d’atteinte, est un pied dans la porte. Il met à jour ce qui me semble un angle mort du milieu de gauche : la contradiction inhérente entre le travail et les organisations politiques, asso, ONG, ESS. Tant qu’on ne mènera pas une réflexion sérieuse sur nos pratiques, il y aura toujours un décalage entre les valeurs que les organisations de gauche prônent et leurs réelles conditions de travail, parfois délétères.
Pourtant, comme le rappelle Arthur Brault-Moreau, nos organisations engagées ont la responsabilité d’être des espaces d’expérimentation, pour tester des alternatives au salariat, à la subordination, à la dépossession des moyens de production et à la propriété. Elles doivent certes composer avec la pression économique, politique, sociale, mais prendre soin de leurs salarié·es, c’est déjà une pratique militante en soi, c’est un début d’« utopie concrète4 ».
Sans prétendre à l’exhaustivité, ce livre explore plusieurs pistes : former les patron·nes au management, formaliser les protocoles pour mieux appréhender les conflits, avoir recours aux prud’hommes, et surtout, syndiquez-vous !
Est-ce que vous connaissez des « patron·nes de gauche » ? Faites le test à la fin de l’ouvrage !
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Le syndrome du patron de gauche
Manuel d’anti-management
Arthur Brault-Moreau
Editions Hors d’atteinte
2022
224 pages
19 euros