Un an de génocide à Gaza. Dans cet ouvrage publié en 2020, Khalil Tafakji (né en 1948), cartographe et géographe palestinien, raconte comment, pendant plus de 30 ans, il a documenté la colonisation israélienne et apporté son expertise lors des négociations avec Israël pour tenter d’obtenir un accord de paix et de définir un État palestinien. Un ouvrage éclairant sur les enjeux territoriaux, en particulier sur l’implantation aussi insidieuse qu’implacable des colonies en Cisjordanie, le mur de l’apartheid et la judéisation de Jérusalem.
À travers une vingtaine de chroniques, Khalil Tafakji parle de son parcours professionnel de géographe vivant à Jérusalem. Lorsqu’il rejoint en 1983 la Société d’études arabes, fondée par Fayçal al-Husseini, sa mission consiste à cartographier les villages détruits par l’armée israélienne, ainsi que les colonies israéliennes et leurs avant-postes implantés en violation du droit international.
Pendant des mois, il a sillonné toute la Cisjordanie avec son équipe (usant parfois de subterfuges pour entrer dans les colonies israéliennes). Le but consistait à reporter les avancées israéliennes sur une carte, car Khalil Tafakji intervenait en tant qu’expert lors des négociations avec Israël.
Par la suite, la Société d’études arabes sera sans cesse dans le collimateur des services secrets israéliens (arrestations, confiscations de tout le matériel et de leurs bureaux), parce qu’elle a pour but de mettre en place les institutions qui pourront un jour fonder un État palestinien.
Avec plus de 500 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est en 2019, réparti·es sur 132 colonies et 116 avant-postes, les Territoires palestiniens sont devenus un véritable gruyère. Entre le mur de l’apartheid, les routes de contournement des colonies et les checkpoints, la liberté de circulation des Palestinien·nes est totalement entravée, et leur vie semble tout à fait insupportable, et encore plus depuis un an.
Le mur de l’apartheid est un énorme scandale à lui tout seul. Long de 700 km et mesurant jusqu’à 8 mètres de hauteur, fortifié par des barbelés et des miradors, le mur érigé par Israël ne respecte pas la frontière entre Israël et la Cisjordanie, fixée par l’ONU en 1949, mais empiète la Cisjordanie sur plusieurs kilomètres, ce qui crée un no man’s land, une prison à ciel ouvert pour les villages palestiniens pris entre les deux. De fait, plusieurs villages palestiniens se retrouvent coupés en deux, des milliers d’habitant·es sont séparé·es de leur famille, de leur travail, de leurs oliviers, des services publics, tandis que les colons circulent en toute liberté.
Et, comme Khalil Tafakji habite Jérusalem, il lui consacre plusieurs chroniques très instructives. Au mépris des résolutions de l’ONU et de la convention de Genève, Israël tente d’en faire sa capitale en forçant le départ des quelque 38 % de musulman·es qui habitent encore à Jérusalem-Est, à l’aide de tout un arsenal de lois fallacieuses. La municipalité détruit leurs quartiers, ne leur accorde aucun permis de construire et n’offre aucun service public (ramassage des poubelles, réfection des trottoirs et des espaces publics…).
31° Nord 35° Est est un ouvrage intéressant, car son auteur, géographe de métier, se concentre sur un enjeu stratégique pour la Palestine : la délimitation de son territoire, occupé depuis un siècle. Il montre notamment comment la définition d’une frontière, parfois faite au doigt mouillé, peut avoir des conséquences dramatiques pendant des décennies. L’histoire de la Palestine concentre tout ce qu’il y a de pire dans la colonisation, la frontiérisation des peuples et la propriété privée. Et parce qu’il a eu accès aux plans directeurs des autorités israéliennes de 1967, Khalil Tafakji a pu prouver que leur ambition (en toute illégalité) est d’annexer la Cisjordanie, de la Méditerranée au Jourdain, et de créer des accès rapides vers les grandes villes des pays du Golfe, sans parler de Gaza qui reste une épine dans le pied du géant israélien…
L’ouvrage de Khalil Tafakji est constitué de courts chapitres qui permettent de s’arrêter pour souffler, et de reprendre à petites doses. Sa lecture est dense mais accessible, du moins si l’on a une carte à côté pour mettre en situation ce qu’il raconte, c’est pourquoi je vous recommande vivement de commencer par la lecture de L’Atlas des Palestiniens (chronique à venir).
31° Nord 35 Est
Chroniques géographiques de la colonisation israélienne
Khalil Tafakji (en collaboration avec Stéphanie Maupas)
Éditions La Découverte
2020
256 pages
19 euros
1. Page 69. -2. Page 140. -3. Page 217. -4. Page 243.