Voilà une prise de position étonnante, et pourtant réaliste. Il s’appuie sur des études et des statistiques pour montrer que les milieux populaires ont un meilleur bilan écologique que les riches et que les personnes se prétendant écolos elles-mêmes. Pourquoi ? parce que leur façon de penser, leur histoire, leurs modes de vie (l’alimentation, les transports, le logement, les loisirs), les amènent à consommer autrement. Ce n’est pas qu’ils consomment moins, ils consomment différemment grâce à leurs prédispositions culturelles, leur culture du peu.
Paul Ariès ne dit pas que leur mode de vie est exemplaire, mais qu’il offre une bonne base pour une attitude écologique. Nous ne devons pas attendre le changement d'en haut, mais de la base.
On entend souvent qu’on ne peut rien attendre des milieux populaires, définis comme une masse indistincte, abrutie par la télé et dans l’imitation des modes de vie et des loisirs des riches, dont la surconsommation est présentée comme la norme sociale.
D’une manière générale, le peuple est défini négativement, même par les penseurs de gauche. À rebours des théories bourdieusiennes, Paul Ariès défend l’idée que le peuple n’est pas dans un rapport d’exploitation et de domination à sens unique et dans une adhésion totale aux valeurs des dominants et à leur culture, car c’est compter sans le « refus de parvenir », la capacité de résistance culturelle, autrement dit l’absence de désir d’avoir une Rolex.
« Ce n’est pas parce que nous manquons d’argent que nous n’achetons pas de montre de luxe, malgré les délires de Jacques Séguéla, c’est parce que ce n’est pas notre culture2. »
La culture populaire vit avec d’autres valeurs, d’autres loisirs, d’autres moments de partage qui sont mal connus. Paul Ariès déplore le manque d’études sociologiques récentes sur les pauvres et des classes populaires, qui accentue l’invisibilité de cette classe dans les médias, les pouvoirs publics et l’imaginaire français. L’émancipation est toujours possible et le peuple est une source de créativité.
Paul Ariès va plus loin en pointant du doigt la haine des riches envers les gens du commun, dans une vision misérabiliste des gens du commun qui vise à monter les uns contre les autres : les Smicards contre les RSAistes, les SDF contre les immigrés… On entre alors dans une culpabilisation des pauvres et des gens modestes, responsables de leur situation, et de la richesse érigée en modèle de réussite sociale, alors que les riches doivent beaucoup à leurs familles, leurs relations, leur milieu social, leur fortune...
Paul Ariès, auteur prolixe et militant actif, fascine par l’étendue, la complémentarité et le sérieux de ses sujets d’analyse remarquablement documentés et appuyés d’une grosse bibliographie. En homme entier, pas frileux, sûr de ses convictions, il écrit là un essai très pertinent mais délicat. En effet, le mot « populaire » s’emploie difficilement, tant il recouvre des conceptions différentes et des préjugés dérangeants. Qu’à cela ne tienne, ceux qui le taxeront de populiste auront mal lu ses propos.
Même si parfois le contenu est ardu, j’ai apprécié le ton personnel de l’auteur. J’aurais tout de même bien aimé qu’il parle un peu de ses origines et de son vécu pour connaître son point de départ et apprécier davantage son cheminement, car l’objectivité n’existe pas. Pour ma part, étant issue du milieu populaire, je retrouve beaucoup d’éléments et de valeurs propres à ma famille.
Pour en finir avec la société du « toujours plus », Paul Ariès ne défend pas la décroissance austéritaire, ni la « croissance propre » ou la « croissance verte » comme on peut l’entendre à l’occasion. Il défend de nouveaux rapports à la consommation, au travail, à la jouissance, aux loisirs, à la nature, au temps (formidable analyse du temps !), lesquels passent par un renforcement des services publics (qui influent sur le taux d’émission de CO²) et l’instauration d’une démocratie locale où chacun a voix au chapitre.
« La révolution se fera d’abord dans les faits, par un changement progressif des modes de vie sous l’impact décisif des politiques nationales et locales3. »
Toutefois, il a conscience que la culture populaire passe davantage par l’oralité. Alors, à qui s’adresse cet ouvrage ? Aux chercheurs, aux élus locaux, aux gens comme moi, issus du milieu populaire ? Paul Ariès, en boulimique de l’engagement, travaille donc sur les deux terrains, puisqu’il participe à un ensemble de manifestations d’éducation populaire, notamment le Forum national de la désobéissance une fois par an.
Un dernier mot sur les éditions Utopia, issues du mouvement du même nom, qui publient des essais passionnants, développant une pensée altermondialiste et des solutions concrètes, sur les thèmes de la décroissance, de la justice sociale, de l’écologie. Un éditeur engagé qui m’a totalement conquise !
Nos rêves ne tiennent pas dans les urnes
En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté ATD Quart Monde
Sociologie de la bourgeoisie Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon
Un job pour tous Christophe Deltombe
La Violence des riches Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon
Je vous écris de l'usine Jean-Pierre Levaray
Paris 2024 Jade Lindgaard
+ Plein de romans sur Bibliolingus traitent de la pauvreté et de la précarité.
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Écologie et cultures populaires
Les modes de vie populaires au secours de la planète
Paul Ariès
Éditions Utopia
Collection Décroissance
2015
240 pages
10 euros
(l'acheter chez Alterlibris, ma librairie associative ici)
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