Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Header cover

On ne naît pas grosse ≡ Gabrielle Deydier

On ne naît pas grosse ≡ Gabrielle Deydier

Dans cet ouvrage publié par les éditions indépendantes Goutte d’Or, Gabrielle Deydier fait un état des lieux de la grossophobie en France en s’appuyant sur son histoire personnelle. A n’en pas douter, son témoignage est une pierre à l’édifice féministe pour avancer sur les problématiques liées à l’obésité, tout comme le docu On achève bien les gros sorti sur Arte en 2020 que l’autrice a coréalisé.

« La “norme” en matière de poids ou d’apparences tend vers la maigreur, tandis que la société voit l’obésité augmenter1. »

Selon le ministère des Solidarités et de la Santé, l’obésité concernerait 8 millions de personnes en France. Et on peut supposer que, depuis l’arrivée du covid, le bouleversement des modes de vie et les difficultés émotionnelles et matérielles ont entraîné une augmentation de l’obésité.

A travers le parcours de Gabrielle Deydier, on prend conscience de l’ensemble des violences et des discriminations grossophobes que subissent les personnes obèses. Les violences psychiques et verbales sont quotidiennes, aussi bien dans le cercle familial qu’à l’école ou au travail.

Les préjugés, l’humiliation et la stigmatisation sont aussi là où on ne l’attend pas : le milieu médical, peu formé aux questions liées à l’obésité, à la nutrition et à la santé mentale, s’est montré très dur avec l’autrice. Les violences de plusieurs professionnel·les de la santé l’ont durablement éloignée des médecins, au point que sa maladie hormonale a été diagnostiquée très tardivement.

Face au mépris quotidien, à l’incompréhension, à la culpabilisation, les personnes en situation d’obésité ont tendance à fuir les espaces publics qui ne sont pas adaptés à leur morphologie, à s’enfermer chez elles, à se replier sur elles-mêmes. De fait, elles vivent une forme d’ostracisme et d’invisibilisation au sein d’une société qui produit l’obésité tout en en méprisant les conséquences.

Toutes ces violences ont des conséquences matérielles lourdes : la discrimination à l’école complique les parcours scolaires des jeunes obèses ; la discrimination à l’embauche augmente les situations de précarité et de pauvreté (si bien que l’un des facteurs de l’obésité en est aussi une conséquence) ; la discrimination du milieu médical empêche une prise en charge convenable des problèmes de santé qui peuvent survenir en cas d’obésité morbide. Mais les conséquences psychologiques sont aussi prégnantes. Les personnes obèses sont souvent perçues comme fainéantes et sans volonté, comme si elles étaient responsables de leur propre condition, si bien qu’elles éprouvent de la honte, un manque de confiance en soi, un manque d’estime de soi, en particulier les femmes, comme on va le voir.

« Je ne suis pas malheureuse parce que je suis grosse, je suis grosse parce que je suis malheureuse2. »

Comme l’explique Mona Chollet dans Beauté fatale, les femmes sont continuellement réduites à leur apparence physique et matraquées d’injonctions sociales. Le culte de la beauté définit des critères physiques idéalisés et irréalistes qui entraînent fatalement la naissance de complexes, de maladies mentales, de troubles du comportement alimentaire, ainsi que la peur du rejet et la haine de nos propres corps, forcément bourrés de défauts qu’il faudrait corriger comme on corrigerait un objet. Aucune d’entre nous n’y échappe, à un degré plus ou moins élevé.

C’est d’autant plus pervers que la société déteste les rondeurs alors qu’elle encourage elle-même l’obésité en autorisant l’industrie agro-alimentaire à utiliser tout un tas de produits toxiques (je vous renvoie à ma chronique sur Le Ventre des villes). Comme toujours dans cette société capitaliste, on soigne les conséquences, mais pas les causes de nos problèmes, car c’est bien plus profitable sur le plan financier.

« Dans un monde où les femmes ne seraient pas aussi complexées, elles se méfieraient de la chirurgie bariatrique3. »

Sans surprise, le nombre d’opérations chirurgicales bariatriques a augmenté ces dernières décennies (multiplié par 4 en 15 ans), et ce sont majoritairement les femmes qui y ont recours (80 % des personnes opérées), pour le plus grand bonheur des émissions de téléréalité voyeuristes, à l’instar de Renaissance de Karine LeMarchand, pour n’en citer qu’une.

Pourtant, les opérations chirurgicales de l’obésité sont une réelle amputation, elles sont dangereuses et ont un coût physique, psychologique et social. Gabrielle Deydier alerte sur le taux de suicide particulièrement élevé chez les personnes opérées. Effectivement, les personnes opérées ne sont visiblement pas assez accompagnées (notamment sur le plan psychologique) dans les mois et les années qui suivent, alors que les conséquences sont importantes : difficultés à s’alimenter correctement et à absorber les nutriments, à mener une vie sociale satisfaisante à cause des contraintes alimentaires, à stabiliser son poids. C’est sans compter les divers symptômes (comme le dumping syndrome après le repas), les troubles du comportement alimentaire qui peuvent apparaître ou se renforcer, ainsi que les risques à long terme qui ne sont pas encore connus.

L’autrice dénonce une certaine désinvolture du monde médical : le culte de la minceur est si pressant, et le business si florissant que les chirurgien·nes se montrent peu regardant·es sur les critères d’éligibilité. Ainsi, selon elle, il peut suffire de mentir sur son poids ou sur son état psychologique pour obtenir une opération bariatrique.

Mon avis

Le témoignage de Gabrielle Deydier, publié par les éditions indépendantes Goutte d’Or, est un apport essentiel dans nos combats féministes. Au fur et à mesure de ma lecture, je me suis rendu compte qu’il a fallu beaucoup de courage à Gabrielle Deydier pour écrire ce témoignage. D’autant plus que les femmes, bien plus que les hommes, sont harcelées de toutes parts lorsqu’elles osent s’exprimer publiquement dans les médias ou sur les réseaux sociaux, quel que soit le sujet. 

En tant que personne mince, je n’avais pas mesuré à quel point le quotidien des personnes obèses pouvait être difficile, à quel point les espaces publics sont ostracisants pour les morphologies hors normes. En revanche, mes différentes recherches m’ont amené à comprendre que l’obésité n’était pas tant une question individuelle que sociétale, c’est pourquoi je suis toujours agacée dès qu’on fait porter la responsabilité aux personnes atteintes d’obésité de leur état, alors que tout nous incite à manger trop et constamment (gras et sucré, sans parler des perturbateurs endocriniens et autres produits toxiques) et que nos vies sont de plus en plus sédentarisées.

Une lecture édifiante !!

Lisez aussi

Essais

Beauté fatale Mona Chollet

Une culture du viol à la française Valérie Rey-Robert

Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Éliane Viennot

Tirons la langue Davy Borde

Le Deuxième Sexe 1 Simone de Beauvoir

Le Ventre des femmes Françoise Vergès

Ceci est mon sang Elise Thiébaut

Masculin/Féminin 1 Françoise Héritier

Libérées Titiou Lecoq

Non c'est non Irène Zeilinger

Nous sommes tous des féministes Chimamanda Ngozi Adichie

Manifeste d'une femme trans Julia Serano

Planète végane Ophélie Véron

Littérature et récits

L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni 

Le Chœur des femmes Martin Winckler

Une si longue lettre Mariama Bâ

L'Œil le plus bleu Toni Morrison

Le Cantique de Meméia Heloneida Studart

Instinct primaire Pia Petersen

Histoire d'Awu Justine Mintsa

Une femme à Berlin Anonyme

La Jungle Upton Sinclair 

Bandes dessinées

Corps à coeur Coeur à corps Léa Castor

Camel Joe Claire Duplan

 

→ L'avis de Nina.

On ne naît pas grosse

Gabrielle Deydier

Editions Goutte d’Or

2017

160 pages

15 euros

1. Page 112. -2. Page 103. -3. Page 129.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
B
Un sujet de plus ne plus d'actualité
Répondre
L
Je ne l'ai pas lu mais je pense que ce genre de livres est à mettre dans les mains de toute personne mince...
Répondre
A
Je ne savais pas grand chose de la chirurgie bariatrique. Deux collègues se sont fait opéré l'année dernière. Je ne pensais pas que c'était aussi courant.
Répondre