Salon du livre de Paris 2015
Ferréz
Éditions Anocaona
2009
Dans les favelas de São Paulo, l’espérance de (sur)vie est faible. La pauvreté et le chômage, le manque de services et l’insalubrité, l’alcoolisme et la cocaïne, la corruption des flics eux-mêmes trafiquants de cocaïne… Peu de perspectives s’offrent à la jeunesse des favelas, et même s’il faut du cran pour prendre le chemin du banditisme, c’est malheureusement l’une des seules options pour gagner assez d’argent pour survivre. Canarder ou être canardé, car même ceux qui ont choisi une vie plus paisible sont pris dans les tirs des gangs.
Régis a prévu de créer une centrale téléphonique pour monter un business honnête et aspirer à une vie plus tranquille, sans meurtre, sans victime, sans être toujours sur ses gardes. Mais les flics, corrompus en bande organisée et racistes, lui confisquent sa voiture. Pour Régis, un autre business, plus juteux et plus rapide, se profile avec ses collègues : braquer une banque.
« Il prenait son Playmobil, le mettait sur son cheval, partait au galop et faisait comme s'il conquérait une ville entière, le petit garçon n'a pas grandi, il a seulement changé de jouet, son revolver est son épée, sa moto est son cheval, l'objet de ses conquêtes est la vie2. »
J’ai choisi de lire Manuel pratique de la haine, sorte de roman-documentaire, parce qu’il a apparemment été écrit par un habitant respecté d’une favela de São Paulo qui doit donc bien connaître son sujet. Même si j’ai été absorbée et que je le l’ai lu très vite, cette lecture m’a laissé un sentiment d’impuissance, car la violence fait la loi dans les favelas. Il semble que la religion, le football et les telenovelas sont les seules échappatoires d’une vie dénuée de sens. Pourtant les solutions existent (l’accès aux droits universels et à la dignité humaine, comme avoir un logement sain, la sécurité, l’éducation, l’épanouissement intellectuel), mais la situation semble inextricable.
Dans ce roman, pas de manichéisme : seulement des individus solitaires, détruits, à qui on n’a pas appris à aimer, qui sont broyés par le système. Dans ce déferlement de violence, certains personnages sont attachants par leur tentative de s’extirper du conditionnement de la favela.
Le réalisme est porté par des propositions grammaticales juxtaposées par des virgules qui déstabilisent au début, mais dès les premières pages, ce style rythmé colle à l’univers des favelas, accélérant la lecture et l’escalade irrépressible de la violence de cette guérilla urbaine.
Les éditions indé Anacaona ont choisi de traduire cette brutalité jusque dans la mise en page, avec un graphisme fort, des citations mises en valeur, et les illustrations de l’artiste franco-brésilien Alexis Peskine. Un livre sidérant qui aide à comprendre la vie des plus pauvres au Brésil.
« Après tout il s'est toujours dit que le pire n'est pas de ne pas avoir, mais plutôt de savoir qu'on n'aura jamais, plusieurs voitures, certaines avec des autocollants Droit, Odontologie et le nom de l'université en dessous, Régis se sentait tel un héros, il avait compris les règles du capitalisme, amasser du capital à n'importe quel prix, après tout les exemples autour de lui l'inspiraient encore plus, ces ennemis qui se serraient dans les bras au nom de l'argent au Conseil Municipal et à l'Assemblée Législative, ces ennemis qui se serraient dans les bras dans l'émission du dimanche pour célébrer les ventes d'un nouveau CD, les exemples étaient clairs et visibles, il fallait vraiment le vouloir pour ne pas les voir3. »
Le Bourreau Heloneida Studart
Le Cantique de Meméia Heloneida Studart
O matador Patrícia Melo
Bahia de tous les saints Jorge Amado
Enfer Patrícia Melo
Littérature d'Amérique du Sud
1. Page 137. -2. Page 247. -3. Page 153.
Manuel pratique de la haine
(titre original : Manual Prático do Ódio)
Traduit du brésilien par Paula Anacaona
Ferréz
Préfacé par Paulo Lins
Éditions Anacaona
2009
256 pages
19 euros