Dans le Paris des années 1940 1930, Félix, un jeune ouvrier, rencontre Paulette issue d’une famille de la classe moyenne.
Dans le Paris des années 1930, Félix, un jeune homme de 26 ans, allonge les petits boulots d’ouvrier et de manutentionnaire. Les boulots ne manquent pas, mais il déborde d’ennui douceâtre, de honte et de dépit.
Il a conscience du temps et de sa jeunesse qui filent, mais aussi de sa classe qui le maintient au bas de l’échelle, sans espoir d’enrichissement ni d’ascension sociale. Sa conscience de classe l’étouffe. Il se sent écrasé par ses semaines de dur labeur payées trois francs six sous, entrecoupées de quelques heures de « liberté » le dimanche.
Un jour, il rencontre Paulette, la charmante dactylo issue d’une famille petite embourgeoisée. Au contact de cette famille, sa condition d’ouvrier le frappe en pleine gueule avec les conversations convenues, conformistes, où chacun fait montre de culture et de mots joliment tournés. C’est bien connu, la culture, moins on en a, plus on l’étale… « Une véritable diarrhée de mots2 ! »
« À la fin, il accaparait tout, Henri, un bavard fini. Seulement il en avait vite fait le tour de ce qu’il connaissait. Il reprenait toujours d’autres mots et d’autres variantes, comme s’il était absolument indispensable de ne pas laisser une seconde sans paroles. Moi je m’emmerdais. Je lui faisais des signes discrets, à Paulette, elle ne voyait rien, elle était dans son élément. Elle faisait du charme, assise sur le bord d’un fauteuil, elle parlait aussi sans bafouillis, les phrases lui venaient, coulantes et faciles… Ça m’impressionnait3. »
Les Coups est un texte discret, mystérieux et plein de charme, qui parle un langage ancien, qui évoque une population aujourd’hui muselée. On retrouve des thèmes chers à Jean Meckert : la condition sociale et la relation conflictuelle au travail, l’ambition écrasée par l’absence d’ascension sociale, les bonheurs au rabais.
Mais étrangement, l’auteur introduit la relation amoureuse assez tardivement, alors que c’est le pilier de l’histoire. (Ne lisez pas la quatrième de couverture si vous ne voulez pas être spoilé.) La fin du roman, à la fois puissante et bizarre, sonne comme un rappel brutal de ses thèmes de prédilection, car finalement même les relations amoureuses pâtissent de la condition sociale, de l’absence de perspectives et du travail opprimant. Grosse baffe pour le lecteur !
Il est difficile d’en dire plus sans gâcher la découverte de ce texte. Mais sans trop en dire, dans le thème de l’incommunication, les conversations entre bourgeois et ouvrier sont un vrai régal, un condensé de sottise, de vantardise et de suffisance. On a tous des réminiscences de discussions vides et ennuyeuses, bouffies d’orgueil, qu’on est obligé de se farcir pour rester poli (dans votre propre belle-famille ?).
En ouvrant ce roman, on plonge dans la langue argotique des ouvriers parisiens des années 1930, travaillée avec amour par Jean Meckert. Les mots sont certes difficiles à déchiffrer, mais le plaisir de lecture est immense, car c’est comme ouvrir un pan d’histoire de la langue française ; chaque page apporte son lot de mots et d’expressions étranges, à l’usage détourné et retourné, et forment un morceau de poésie et d’authenticité brut.
L'Homme au marteau Jean Meckert
Nous sommes tous des assassins Jean Meckert
La Proie Irène Némirovsky
Un bourgeois tout petit petit Vincenzo Cerami
L’ordre moins le pouvoir Normand Baillargeon
"La Commune n'est pas morte" Eric Fournier
La Guerre des mots. Combattre le discours politico-médiatique de la bourgeoisie de Selim Derkaoui et Nicolas Framont
Les Coups
Jean Meckert
Éditions Gallimard
Collection Folio
n° 3668
2012
288 pages
7 euros
(première édition chez Gallimard en 1942)
1. Page 117. -2. Page 216. -3. Page 60.