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Ma guerre d’Espagne à moi ≡ Mika Etchebéhère

Ma guerre d’Espagne à moi ≡ Mika Etchebéhère

Avec Ma guerre d’Espagne à moi, Mika Etchebéhère (1902-1992) nous offre un témoignage exceptionnel, touchant et inspirant de son commandement au sein du POUM lors de la guerre civile espagnole (1936-1939). Une belle lecture que je vous conseille vivement !

« Combattre c’est nécessaire, vivre n’est pas nécessaire1. »

Juillet 1936 : Mika et Hippolyte se joignent au soulèvement populaire espagnol, partageant la conviction qu’il faut empêcher à tout prix les fascistes de prendre le pouvoir et faire advenir la révolution prolétarienne.

Depuis toujours, toustes deux sont épris·es de justice. Iels ont décidé de renoncer à la vie paisible de couple, aux paysages paradisiaques de leur Patagonie bien-aimée. Au point de choisir de ne pas avoir d’enfant pour « rester libres et sans attaches2 » et se sacrifier pour leurs idéaux.

Très vite, Hippolyte Etchebéhère devient commandant de la colonne du POUM (Parti ouvrier d’unification marxiste), secondé par son épouse. La colonne est composée d’une centaine d’hommes, principalement des militants anti-fascistes, anti-staliniens, anarchistes et syndicalistes ; des ouvriers pétris d’idéal révolutionnaire mais aucunement formés au combat militaire. Clavelín, le plus jeune, n’a que 14 ans au début de la guerre civile.

Mais dès août 1936, Hippolyte est tué au combat. Il l’a toujours su : seul l’ennemi aura raison de lui, et certainement pas la tuberculose qui l’accable depuis plusieurs années. À sa mort, tout bascule. Mika aurait pu retourner à Madrid loin du front et du danger, ou retrouver ses ami·es et soutiens à Paris, Alfred et Marguerite Rosmer, ainsi que Kurt Landau. Mais la vie « normale » n’est plus faite pour elle. Désormais, seule la vie au front vaut la peine d’être vécue, pour honorer le pacte qu’elle avait signé avec son mari.

Le corps d’Hippo n’est pas encore refroidi qu’elle prend le commandement de la colonne du POUM.

« Vivre ? Vivre sans lui ? Après la guerre, dans un monde d’avant sa mort, un monde sans tranchées, sans bombardements ? Un monde avec des livres, des tableaux, des couchers de soleil, sans lui ? Sans marcher à son bras, sans son sourire, sans ses mains douces, ses yeux de lumière, son front, sa voix, son rire ? Tu sais bien que tu ne pourras, que tu te permets de survivre en service commandé, plus sèche qu’une branche morte, parmi les seuls êtres que tu puisses aimer, à la fois sublimes et sordides, auxquels tu lies ce choix fait avec lui dans la clarté et dans la joie3. »

« Entre nous il n’y a pas d’obéissance mais une responsabilité partagée volontairement4. »

Mika nous raconte ces mois passés en première ligne, sur le front d’Atienza, puis de Sigüenza, jusqu’à la défense de Madrid elle-même. Dans les tranchées, la vie quotidienne est terrible : le froid, la pluie, la boue, les poux, le manque de fusils et de munitions, l’incertitude et l’attente. Les avions ennemis rasent le sol mais aucune relève du camp républicain en vue, à croire que celui-ci a abandonné la colonne du POUM...

Mika compense son manque de savoir militaire en suivant ses intuitions. Elle se révèle douée en logistique, car elle comprend très vite que le ravitaillement est essentiel à la motivation et à l’endurance des troupes. Contrairement aux autres commandants qui n’y pensent même pas, elle s’assure constamment que ses hommes ont du café, de la viande, ainsi que leur ration quotidienne d’alcool et de cigarettes. Elle veille à leur apporter des soins, à leur fournir des vêtements chauds et des bottes, si bien que même les miliciens malades ne veulent pas quitter le front. Tâchons de nous en souvenir le moment venu : la logistique et l’approvisionnement sont aussi importants que les combats à mener.

Au sein de la colonne, Mika cherche à responsabiliser tous les hommes, à créer un climat de confiance mutuelle et à instaurer quelques règles d’hygiène et de conduite (comme, par exemple, ne pas piller les maisons abandonnées pendant la guerre). Elle sait qu’elle n’obtiendra pas leur obéissance par l’autorité et la menace, c’est pourquoi les décisions sont souvent communes, chacun pouvant exprimer son avis. Par ailleurs, toujours dans cet idéal d’autonomisation et d’émancipation, Mika mettra en place une école dans les tranchées, car la plupart des miliciens ne savent pas lire. 

« Une capitaine qui a plus de couilles que tous les capitaines de la terre5. »

On peut l’imaginer, il est bien difficile de se faire respecter quand on est une femme à la tête d’une centaine d’hommes, et de surcroît étrangère ! A la guerre, la virilité est exacerbée, et la misogynie particulièrement prégnante. Les miliciens ne veulent pas laver leurs chaussettes sous prétexte que c’est un travail de femme. Tout en ménageant leur amour-propre, elle se montre tantôt intransigeante avec ses hommes, tantôt maternelle, et finit par gagner leur respect et leur confiance. 

Dans ce récit, Mika brosse les portraits touchants d’hommes courageux, héroïques et fous, prêts à se sacrifier pour des idéaux, à qui elle tente de montrer que les hommes des tranchées ennemies sont aussi des êtres humains sensibles. Peu à peu, Mika devient une « “femme pas comme les autres” comme ils disent pour justifier leur obéissance et se grandir aux yeux des colonnes qui ne connaissent pas cette anomalie : avoir une femme pour capitaine6 ».

Mon avis

Mika Etchebéhère (1902-1992) nous livre une témoignage exceptionnel sur l’un des rares épisodes historiques dans lequel les idées anarchistes d’organisation sociale ont été mises en œuvre sur une grande échelle. La guerre civile espagnole est au cœur des enjeux européens. L’URSS tente de prendre le contrôle du camp républicain, l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie apportent leur soutien à Franco ; tandis que le gouvernement français regarde silencieusement le peuple espagnol se faire écraser.

Certes, ses propos n’engagent qu’elle, et le portrait qu’elle donne d’elle-même et de ses miliciens est sujet à crédit. Mais toujours est-il que ce témoignage, ainsi que son parcours militant (au sein des Mujeres libres, aux côtés des étudiants en Mai-68), font d’elle une figure importante de l’anarchisme et du féminisme. Elle vient s’ajouter à la liste des femmes qui m’inspirent, à l’instar d’Emma GoldmanLouise Michel ou Rosa Parks.

Avec ce bel ouvrage à la mise en page confortable, il y a le DVD du documentaire de Fito Pochat et Javier Olivera sur la vie de Mika (qui a rédigé son témoignage en français et qui s’exprime sans aucun accent). Merci aux éditions Libertalia et aux éditions Milena de nous offrir ce témoignage ! Pour les petits budgets, l’édition poche vient de sortir  (sans le DVD) aux éditions Libertalia.

« Cette guerre et cette révolution sont l’incarnation de mes idées. J’en ai rêvé depuis mon enfance en entendant les récits des révolutionnaires russes évadés des prisons tsaristes. Pour la servir, Hippo et moi avons refusé les lacs de la Patagonie et les forêts envoûtantes de ses montagnes, rogné les ailes de notre amour, choisi la pauvreté et le devoir, accepté le sang qu’il fallait verser, le nôtre et celui des autres7. »

Lisez aussi

La Capitana Elsa Osorio

Un siècle d'espoir et d'horreur, une histoire populaire du XXe siècle
Chris Harman

La Commune Louise Michel

L’ordre moins le pouvoir Normand Baillargeon

Les Mémorables Lidia Jorge

Le fond de l'air est jaune Collectif

Vivre ma vie Emma Goldman

Rage against the machisme Mathilde Larrère

Assata, une autobiographie Assata Shakur 

 

Ma guerre d’Espagne à moi

Une femme à la tête d’une colonne au combat

Éditions Libertalia et Milena

Avec le DVD du documentaire de Fito Pochat et Javier Olivera (2013)

2015

430 pages

18 euros

(dispo en poche sur alterlibris.fr, ma librairie associative)

1. Page 152. -2. Page 195. -3. Page 189. -4. Page 254. -5. Page 320. -6. Page 231. -7. Page 56.

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A
Ce n'est donc pas un personnage lisse et sans aspérités. Tant mieux.
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B
Un ouvrage qui a vraiment l'air inspirant, et un documentaire qui donne tout aussi envie. Tu sais toujours aussi bien attiser l'engouement avec ces belles critiques qui mettent en avant des œuvres qu'on ne devrait pas laisser passer. Merci chère Lybertaire.
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