Benjamin Wood
Zulma
2014
Matches de la rentrée littéraire de Price Minister
Oscar vit à Cambridge, la ville de l’excellence universitaire. Pourtant, il n’est ni étudiant ni professeur : il est aide-soignant dans une maison de retraite. Ses parents, qui ne sont pas riches et n’ont pas fait d’études, ne l’ont pas encouragé à poursuivre dans cette voie.
Un jour, en sortant de son travail, il entend le chœur de la chapelle du King’s College et y entre. Lui qui n’a pas été éduqué dans la religion chrétienne, s’assoit et se sent envahi par la puissance de l’orgue et les voix des choristes, mais il est aussi captivé par le charme d’Iris, une jeune choriste.
La rencontre a lieu, Oscar entre alors dans un monde qui n’est pas du tout le sien.
Oscar découvre bien vite qu’Iris est issue de la bonne famille chrétienne et bourgeoise de Cambridge. Les Bellwether sont élitistes, exclusifs, raffinés, et parcourent les couloirs des écoles les plus prestigieuses depuis des générations. Tandis que le poids de ce destin d’excellence pèse sur Iris, son frère Eden brille auprès de ses parents pour s’attirer leur reconnaissance et marcher dans leurs pas.
Eden Bellwether excelle en tout, dans ses études mais aussi dans la musique classique. Convaincu que la musique est une science qui provoque les émotions, il pratique l’hypnose musicale avec laquelle il pense guérir le corps et l’âme. Mais Eden Bellwether, en plus d’être obstiné et passionné, est particulièrement oripilant : exubérant, hautain, condescendant, manipulateur, pervers, il captive autant qu’il agace ses amis. C’est qu’ils ne soupçonnent pas à quel point Eden est prêt à prouver l’efficacité de ses théories sur l’hypnose musicale.
« Les compositeurs ont le pouvoir d’affecter et de manipuler tes émotions, tes passions, comme disait Descartes. Par leur musique, ils sont tout à fait capables de te faire ressentir tout ce qu’ils veulent que tu ressentes. Un peu comme une expérience chimique : si des éléments sont associés selon une certaine formule tu obtiens une certaine réaction. Tu trouves que je vais trop loin3 ? »
Le premier roman de Benjamin Wood, publié chez Zulma, puise véritablement sa force dans le personnage d’Eden : son caractère hautain a beau être énervant, il est captivant et intriguant. Eden est fait d’ombres et de lumière : il brille autant par son génie que par sa soif de reconnaissance et ses jeux pervers.
L’atmosphère de ce roman y fait beaucoup : Oscar entre dans la haute bourgeoisie de Cambridge chrétienne, intellectuelle, raffinée. On y évolue entre soi, et Oscar, fils d’une famille ordinaire, n’a pas acquis les codes et les référents pour s’y sentir à l’aise. Quoiqu’il fasse, il n’appartiendra jamais à ce monde. Dommage toutefois que ce décalage identitaire et que les privilèges et préjugés des classes sociales ne soient pas mis davantage en avant.
Le Complexe d’Eden Bellwether est un roman particulièrement réussi : outre une écriture (et une traduction) fluide, Benjamin Wood est parvenu à maintenir tout du long la tension, l’impression de danger imminent autour d’Eden. Il laisse la part belle au thème passionnant de l’hypnose musicale, avec de superbes scènes d’orchestre, et à celui, tout aussi passionnant du complexe de Dieu, alliant ainsi hypnose, musique et psychologie.
1. Page 58. -2. Page 61. 3. Ibid.
Le Complexe d’Eden Bellwether
(The Bellwether Revivals, titre original)
Benjamin Wood
Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Renaud Morin
Éditions Zulma
2014
512 pages
23,50 euros