Guillaume Goutte
Éditions Libertalia
2021
En apparence, le statut d’autoentrepreneur⋅se (freelance) donne l’impression qu’on est libres, indépendant⋅es, mais il n’en est rien. Voici les difficultés qu’on rencontre dans l’édition :
Dans la presse, le métier de correction est précaire. La rémunération à la pige s’est généralisée, et le métier est souvent escamoté, puisque ce sont les secrétaires de rédaction qui se retrouvent à faire la correction, alors que ce sont deux métiers distincts. Toutefois, comme le métier des correcteurices dans la presse est intimement lié à la naissance du syndicalisme à la fin du XIXe siècle, la corporation bénéficie encore d’un rapport de force qui a permis de préserver une certaine sécurité. Il y a notamment la loi Cressard de 1974 qui dispose que toute personne travaillant pour un organisme de presse est, de fait, présumée salariée.
Mais, dans l’édition, c’est pire ! Le premier syndicat de correcteurices de l’édition n’est né qu’en 1957. Les TAD (travailleureuses à domicile) ont un statut précaire : iels sont salarié⋅es mais ne sont pas considérées au même titre que celleux travaillant dans les locaux de la maison, et leurs revenus sont très fluctuants.
En fait, c’est surtout avec l’avènement de l’autoentreprenariat en 2009 (merci Sarkozy) que les choses se sont empirées. Nous sommes corvéables à merci, rémunéré⋅es au lance-pierre et jetables du jour au lendemain. Ce statut s’est largement répandu dans l’édition, car c’est du pain béni pour les employeurs : il les affranchit de l’encadrement juridique imposé par le salariat, du Code du travail, des conventions collectives et des accords d’entreprise. Le statut d’autoentrepreneur⋅se est une véritable régression en matière de droit du travail.
Au-delà des constats pour le moins alarmants, cet ouvrage est une invitation à se mobiliser. Il propose différentes manières de s’engager pour sécuriser nos professions, obtenir une meilleure reconnaissance de nos métiers, de nos compétences, et une meilleure rémunération.
Ces moyens d’action sont complémentaires, il ne faut en négliger aucun, mais pour Guillaume Goutte, le premier est avant tout la syndicalisation (notamment auprès du Syndicat général du Livre et de la communication écrite de la CGT). Pour plusieurs raisons, la syndicalisation est en perte de vitesse depuis plusieurs décennies. Pourtant, le syndicat est un lieu qui permet de se réunir, de se solidariser, de s’informer, de se former, de s’aider les un⋅es les autres, de mener des actions collectives, de renforcer notre pouvoir, d’inverser le rapport de force, de faire changer les pratiques, les mentalités et les lois.
À cela s’ajoutent le boycott et le call-out des organismes de presse et des maisons d’édition ayant des pratiques exécrables (manifestations lors d’événements publics) ; le label syndical, comme cela se faisait au XIXe siècle (mention qui atteste qu’un produit a été réalisé par des personnes travaillant dans de bonnes conditions) mais, personnellement, je n’ai jamais vu cela ; ou encore le recours aux prud’hommes (qui est très coûteux à titre personnel et professionnel).
Comme le dit si bien Guillaume Goutte, nos métiers n’ont aucune raison de disparaître : que ce soit sur le papier ou sur internet, l’écrit est omniprésent. L’édition et la correction sont indispensables pour comprendre un texte, quel qu’il soit. Et sur internet, il y a de quoi faire ! Les organismes de presse ne financent plus la correction, car ils semblent croire que le lectorat du web est moins exigeant que celui du papier…
Dans tous les livres que je lis, il y a des fautes. S’il manque un mot, une virgule, un italique, une capitale, le sens de la phrase peut changer. Parle-t-on de la Libération (à la fin de la Seconde Guerre mondiale), du journal Libération ou de la libération, celle qui émancipe ? Une table des matières mal paginée ou l’absence de glossaire quand il y a profusion de noms propres ne permettent pas de s’orienter dans le livre. Que dire d’un récit qui passe du passé simple au passé composé, puis au passé simple et au présent de l’indicatif, emmêlant la chronologie des événements ? Que dire de l’écriture inclusive, utilisée de manière aléatoire dans certains ouvrages (celui-ci y compris) ?
Mais il y a aussi le contenu en lui-même. Que dire d’une information scientifique non vérifiée, qui sera lue par des milliers de personnes ? Que dire d’une introduction qui définit mal la problématique, d’une notion pointue sans note explicative, d’une traduction qui introduit un contresens ? Mon travail, c’est tout cela depuis 9 ans, c’est le fond et la forme, et il me semble indispensable pour ne pas laisser le lecteurice dans l’errance, pour rendre le livre accessible au plus grand nombre, pour le faire sortir de l’élitisme.
À la lecture de cet ouvrage, j’ai décidé d’adhérer au Syndicat général du Livre et de la communication écrite de la CGT. Aussitôt lu, aussitôt fait !
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Correcteurs et correctrices, entre prestige et précarité
Guillaume Goutte
Éditions Libertalia
2021
84 pages
8 euros
1. Page 53. -2. Page 45.