Blanc autour
Wilfrid Lupano
Stéphane Fert
Éditions Dargaud
2020
Nous sommes en 1832, dans le Connecticut, au nord des États-Unis où l’esclavage est, en théorie, déjà aboli (il sera « aboli » dans l’ensemble du pays trente ans plus tard). Sarah Harris, une jeune fille afro-américaine, veut s’instruire. Elle s’adresse alors à sa patronne, Prudence Crandall, qui tient une école pour jeunes filles blanches, afin de lui demander si elle peut elle aussi suivre les cours.
Mais Sarah Harris, qui deviendra officiellement la première élève afro-américaine aux États-Unis, va voir fondre sur elle tout le racisme de cette petite ville du Connecticut…
Blanc autour avait visiblement tout pour me plaire. J’ai été séduite par le fait qu’un roman graphique s’empare des thématiques du racisme et du féminisme qui parcourent l’ensemble de Bibliolingus. J’ai été séduite par ces très beaux dessins qui font se côtoyer l’univers enfantin des jeunes filles afro-américaines et l’ambiance sombre, inquiétante et dramatique du racisme.
Pourtant, je n’ai pas eu de coup de cœur. D’abord, j’ai eu du mal à garder le fil de l’histoire, à identifier les passages d’une scène à l’autre et les ellipses.
Ensuite, l’ensemble m’a paru très superficiel. Les liens sociaux entre les personnages ne sont pas facilement repérables ; et la personnalité et le parcours des jeunes filles afro-américaines et de Prudence Crandall sont à peine esquissés. Comme il y a probablement peu de sources historiques (l’histoire des femmes, racisées de surcroît, ayant bien souvent été occultée), les auteurs auraient pu vouloir insérer de la fiction, imaginer une histoire intime par-dessus les faits historiques. En tant qu’hommes blancs français, peut-être n’ont-ils pas voulu romancer pour ne pas créer d'interférences, pour ne pas travestir les faits historiques ? On suppose néanmoins tout le courage qu’il a fallu à ces jeunes filles noires pour entrer dans cette école. Il a fallu dépasser la peur de la répression et le sentiment d’illégitimité inculqué depuis toujours aux personnes noires.
Il y a pourtant deux personnages sortis tout droit de la fiction, qui sont posés là de manière factice pour incarner une idée, et qui n’existent pas pour eux-mêmes : le petit garçon Sauvage et la sorcière.
A rebours de l’émancipation par la lutte non-violente, le petit garçon Sauvage défend la lutte armée du révolutionnaire afro-américain Nat Turner et décrit l’école comme une institution bonne à formater les esprits. La question que pose ce personnage est, me semble-t-il, celle-ci : peut-on gagner une lutte émancipatrice en étant dans les entrailles du système ? L’instruction fournie par une société profondément blanche, raciste, colonialiste et misogyne peut-elle rendre ces femmes noires libres ? Elles vont apprendre l’Histoire officielle des Blanc·hes qui occulte l’impérialisme et l’esclavage responsables du déracinement de millions de femmes et d’hommes du continent africain.
Quant au personnage de la sorcière, il semble surfer sur la passion grandissante des sorcières (à laquelle j’ai réchappé), érigées en femmes indépendantes, féministes, empouvoirantes, dissidentes. Mais je comprends incidemment que ce personnage sert à dire que ces jeunes filles afro-américaines, nouvellement instruites, pourront tenter de sortir de leur condition de citoyennes de seconde zone, qu’elles pourront à leur tour offrir à leurs enfants le gage d’une vie plus éclairée.
Pour finir, cette BD est particulièrement belle, mais elle me semble superficielle et maladroite. Même si c’est important de mettre en lumière un moment historique notable, j’aurais préféré qu’elle soit écrite par des personnes davantage concernées, et d’autre part je regrette qu’on ne parle de Noir•es que pour les ramener aux problématiques du racisme et de l’esclavage ; et plus la problématique raciale est lointaine aux plans chronologique et géographique, plus elle est audible des Blanc•hes.
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1. Page 17.
Blanc autour
Wilfrid Lupano
Stéphane Fert
Éditions Dargaud
2020
146 pages
20,50 euros
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