Françoise Vergès
Éditions Albin Michel
2017
Club de lecture féministe des Antigones
Chronique sur le blog Un invincible été
À la fin des années 1960 à La Réunion, l’État français a mené une campagne d’avortement et de stérilisation sur les femmes noires et pauvres, alors même que l’avortement était interdit. Les femmes admises à l’hôpital subissaient un avortement et une stérilisation forcés, tandis que les médecins déclaraient une intervention bénigne et se faisaient rembourser par la Sécurité sociale. Comment ces pratiques ont-elles pu se mettre en place en toute impunité par les médecins, les assistant·e·s, les autorités ? Cet événement dramatique et incroyable, qui a pourtant été relayé par quelques journaux d’époque, a complètement disparu de l’histoire collective française.
Françoise Vergès part de ce scandale pour analyser la politique coloniale, impérialiste, raciste et patriarcale du gouvernement français. Après la Seconde Guerre mondiale, l’État redessine son empire colonial et définit les territoires qui comptent (la France) et ceux qui ne comptent pas (comme les DOM-TOM), lesquels seront par conséquent abandonnés aux plans économiques et sociaux. En fin de compte, l’autrice montre que la « décolonisation » est un leurre. La colonialité du pouvoir a perduré malgré les transformations économiques et sociales et les déclarations d’indépendance ; les anciennes colonies sont restées à la marge de l’histoire officielle.
Pendant des siècles, le colonialisme a violé le ventre des femmes noires pour produire de petit·e·s esclaves, et à présent que cette main d’œuvre n’est plus nécessaire, les ventres réunionnais sont saccagés et scellés au bon vouloir des hommes blancs. Bien sûr, cette idéologie est masquée par une propagande fallacieuse visant à faire croire que La Réunion est un département surpeuplé et qu’il convient de pratiquer une politique antinataliste.
J’ai lu Le Ventre des femmes de Françoise Vergès grâce au club de lecture féministe des Antigones organisé par Ophélie du blog Antigone XXI et Pauline d’Un invincible été. J’ai beaucoup aimé le contenu de cet ouvrage, même s’il m’a semblé difficile d’accès par rapport à d’autres lectures. Françoise Vergès, elle-même issue d’une famille réunionnaise composée de personnalités politiques, est politologue, historienne et féministe.
Françoise Vergès met en perspective le scandale des femmes noires avortées de force à La Réunion pour mieux appréhender le racisme français et analyser les processus d’oubli de la France, les gommages et les manipulations du passé, surtout concernant les populations « inutiles ». Pour exemple, l’autrice s’appuie sur l’étude du Mouvement de libération des femmes (MLF) dans les années 1970, qui ignore la dimension raciale du patriarcat et la lutte des femmes noires.
En conclusion, l’idée est de s’opposer au féminisme d'état prétendant parvenir à l’égalité sans changement structurel. L’autrice invoque l’intersectionnalité des luttes, visant à décloisonner les identités et les formes d’oppression, et parle de féminisme décolonial, ou intersectionnel, ayant pour but de faire resurgir l’histoire des opprimé·e·s au sein de l’histoire officielle des manuels scolaires. L’autrice en appelle aussi au féminisme killjoy, qui interrompt le discours officiel du « tout va bien ». Il s’agit de réparer l’oubli, de mettre les mots sur le passé qu’on dissimule.
Voilà un ouvrage essentiel à la compréhension du racisme étatique et du féminisme que je ne peux que vous inviter à lire. S’il est certes difficile à lire, car il brasse plusieurs notions qu’il vaut mieux avoir déjà rencontré auparavant, il mérite de s’accrocher. Je compte prolonger cette lecture par tout un ensemble d’autres ouvrages traitant des mêmes sujets !
« Les femmes des outre-mer, qu’elles soient esclaves, engagées ou colonisées, existent à peine dans les analyses féministes, qui les traitent au mieux comme des témoins d’oppressions diverses, mais jamais comme des personnes dont les paroles singulières remettraient en cause un universalisme qui masque un particularisme2. »
Mes trompes, mon choix ! Laurène Levy
Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Éliane Viennot
Moi les hommes, je les déteste Pauline Harmange
Les Humilié·es Rozenn Le Carboulec
Le Deuxième Sexe 1 Simone de Beauvoir
Faiminisme. Quand le spécisme passe à table Nora Bouazzouni
La Force de l'ordre Didier Fassin
Françafrique, la famille recomposée Association Survie
Beauté fatale Mona Chollet
Ceci est mon sang Elise Thiébaut
Masculin/Féminin 1 Françoise Héritier
Une culture du viol à la française Valérie Rey-Robert
Rage against the machisme Mathilde Larrère
Libérées Titiou Lecoq
Non c'est non Irène Zeilinger
Tirons la langue Davy Borde
Nous sommes tous des féministes Chimamanda Ngozi Adichie
Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges Christelle Murhula
On ne naît pas grosse Gabrielle Deydier
Pas d'enfants, ça se défend ! Nathalie Six (pas de chronique mais c'est un livre super !)
Décolonial Stéphane Dufoix
L’amour de nous-mêmes Erika Nomeni
L'Œil le plus bleu Toni Morrison
Le Chœur des femmes Martin Winckler
Une si longue lettre Mariama Bâ (Sénégal)
Crépuscule du tourment Léonora Miano (Cameroun)
Les Maquisards Hemley Boum (Cameroun)
Petit pays Gaël Faye (Burundi et Rwanda)
Tels des astres éteints Léonora Miano
L'Intérieur de la nuit Léonora Miano (Cameroun)
Beloved Toni Morrison
Black Girl Zakiya Dalila Harris
Histoire d'Awu Justine Mintsa (Gabon)
Americanah Chimamanda Ngozi Adichie (Nigéria)
Instinct primaire Pia Petersen
La petite communiste qui ne souriait jamais Lola Lafon
Une femme à Berlin Anonyme
Bandes dessinées
Camel Joe Claire Duplan
Corps à coeur Coeur à corps Léa Castor
L’excellent documentaire Ouvrir la voix d’Amandine Gay |
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Le Ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme
Françoise Vergès
Éditions Albin Michel
Bibliothèque Idées
2017
242 pages
20 euros
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