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L’Intérieur de la nuit ≡ Léonora Miano

L’Intérieur de la nuit ≡ Léonora Miano

Dans ce premier roman, Léonora Miano témoigne déjà de son grand talent à parler des maux qui rongent l’Afrique. L’Intérieur de la nuit, qui raconte la nuit terrible des villageois·e·s pris·e·s en otage par des rebelles, se lit à plusieurs niveaux et s’adresse aussi bien aux grand·e·s ados qu’aux adultes.

« Certaines choses leur arrivaient qui les tuaient de l’intérieur, mais ils laissaient toujours au destin d’en finir avec leurs corps1. »

Nous sommes au Mboasu, le pays centre-africain imaginé par Miano, qui est en proie à la guerre civile.

Après plusieurs années d’absence, Ayané revient au village de son enfance pour être au chevet de sa mère malade. Les hommes sont partis en ville pour vendre péniblement leur force de travail, tandis que les femmes prennent les choses en main dans les cases, vivant dans la tradition africaine.

Les denrées commencent à manquer et le soleil tape fort sur les collines d’Eku, lorsque un soir, une milice rebelle les prennent en otage : les rebelles exigent de (trop) jeunes hommes pour en faire des soldats et des filles pour la troupe. Leur lutte vise à restaurer l’identité du peuple africain spolié par des siècles de colonialisme. Pour cela, il faut réunifier les différentes tribus autour d’une obscure cérémonie.

Le roman de Léonora Miano raconte cette nuit terrible, mais aussi la manière dont les jours suivants se déroulent.

« Cette nuit à Eku, c’était l’Afrique perdue, hébétée par le choc de sa rencontre avec l’ailleurs, qui tentait de se relever. Mais l’uppercut culturel qu’elle avait reçu lui avait brouillé l’entendement. Ne se souvenant que très obscurément de ce qu’elle était en réalité, elle se réinventait d’une manière macabre devant les villageois rassemblés. Elle faisait de même non loin de là, dans des pays dont ils ignoraient le nom. Elle s’automutilait en génocides ou en guerres civiles, comme pour s’enfoncer un peu plus profond dans ses blessures. Parce qu’elle ne pouvait se résoudre à devoir s’absoudre elle-même pour s’être laissé soumettre, piétiner, effacer de sa propre mémoire2. »

Mon avis

Le premier roman de Léonora Miano témoigne déjà de son talent extraordinaire ! Depuis que j’ai rencontré ses textes, je n’ai eu de cesse d’en parler autour de moi, c’est dire mon enthousiasme.

À travers l’allégorie de cette nuit terrible entre les villageois·e·s et les rebelles, qui se comprend à plusieurs niveaux de lectures, Léonora Miano donne vie aux thèmes qui habiteront l’ensemble de son œuvre, mais celui qui est prépondérant ici est l’enrôlement de la jeunesse dans des guerres civiles au nom d’une réhabilitation de l’identité africaine. Certes, cette réhabilitation doit avoir lieu, mais en faisant couler davantage de sang ?

Dans L’Intérieur de la nuit, on retrouve également le chemin difficile vers l’identité individuelle, l’acceptation de ses origines, les relations au sein de la communauté codifiées par la tradition indépassable. Il y est question de transgression des lois ancestrales, mais surtout d’une grande tolérance envers l’autre, celui ou celle qui est différent·e et souvent incompris·e. Chacun·e mène sa vie selon ses valeurs, ses expériences, et place sa dignité là où il lui semble bon. Ça paraît bête, dit comme ça, mais les crispations identitaires véhiculées dans les discours publics (personnages politiques, journalistes) visent justement à tuer la fraternité (diviser pour mieux régner).

Ce que j’aime tant chez Léonora Miano, c’est la place centrale faite à la psychologie des personnages et au débat. C’est à nous de faire notre chemin entre les opinions que chaque personnage incarne. S’il y a toujours de la violence et une critique acerbe dans ses romans, il y a aussi beaucoup de sagesse. Je ne saurai que vous inviter à découvrir Léonora Miano si ce n’est pas déjà fait.

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Décolonial Stéphane Dufoix

L’Intérieur de la nuit
Léonora Miano
Éditions Plon
2005
210 pages
17 euros

1. Page 121. -2. Page 118.

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A
Tu en parles si bien, cela me donne envie de le lire.
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Z
J'attends avec impatience que le livre soit libre à la bibli<br /> J'aime comme tu en parles
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