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La Lucidité ≡ José Saramago

La Lucidité ≡ José Saramago

La Lucidité

José Saramago

Seuil

2007

 

Et si, lors des présidentielles municipales, les électeurs de la capitale votaient majoritairement blanc ?

« Les électeurs avaient toute la journée pour voter, ils attendaient sans doute que le mauvais temps passe1. »

Le résultat tombe : lors des élections présidentielles municipales d’un pays sans nom, qui pourrait être le Portugal, 83% des électeurs de la capitale ont voté blanc. Surprenant, inexplicable, injustifié, intolérable ! s'écrient les hommes politiques davantage attachés à leurs sièges électoraux qu’aux désirs du peuple.

Déterminé à ne jamais se remettre en question, le gouvernement instaure un état d’exception, car enfin, cet acte n’est autre qu’une atteinte à la légitimité de la démocratie et à la sécurité de l’État ; pire ! c’est une insurrection, une rébellion ! Afin de rétablir l’unité nationale et la cohésion, le gouvernement entame une grande enquête où tous les moyens seront mis en œuvre pour découvrir quelle organisation secrète a bien pu fomenter le vote blanc… Aux grands maux, les grands remèdes : il s’agit de rétablir la sacro-sainte démocratie et de ramener les ouailles au bercail.

Mon avis

La Lucidité de José Saramago incarne tout à fait la littérature politique et engagée en dressant une critique de la démocratie représentative. Les ministres, dénoncés pour leur incompétence, leur opportunisme, leur interchangeabilité et leur soif de pouvoir, ignorent totalement les préoccupations et les revendication des citoyens. Lorsque 83 % des électeurs de la capitale, bientôt appelés les « Blanchards », votent blanc aux élections présidentielles municipales, c’est perçu comme un acte de rébellion à l’encontre de la « démocratie » à éradiquer au plus vite. Saramago montre comment la démocratie représentative, sous couvert d’artifices électoraux, se révèle autoritaire pour continuer à faire croire à sa légitimité.

Les médias ne sont pas épargnés : dépeints comme de véritables chiens de garde au service du gouvernement, ils sont les instruments de la propagande et multiplient les discours de l’idéologie dominante.

La démocratie telle qu’on la vit à l’heure actuelle ne donne la parole qu’à la population privilégiée. Comme les attentats de janvier 2015 l’ont montré, les débats sont vides de sens, reposant sur des concepts, des valeurs, des idéologies jamais définis, qui font le terreau des amalgames. Chaque personnage public y va de son discours et de ses solutions, dans une logorrhée enflammée et démagogique, alors que ce sont les citoyens anonymes qui devraient les premiers s’exprimer et débattre de ces questions. Saramago le démontre en révélant comment les intentions des « Blanchards » ne sont jamais analysées ni comprises par le gouvernement, dans une totale déconnexion avec le peuple.

Saramago ne s’arrête pas là, puisqu’il travaille sur la langue, sur la symbolique qu’on donne aux mots en utilisant les majuscules. Fidèle à son identité littéraire, il insère les dialogues, sans ponctuation, à l’intérieur même du récit et aime multiplier les circonlocutions : ce procédé déroutant, souvent agaçant, ne plaira pas à tout le monde, mais il détonne dans le paysage littéraire.

Par ailleurs, si le principe de base de ce roman politique est excellent, le déroulement de l’histoire est inégal, axé sur différents groupes de personnages laissés ensuite en chemin. D’autre part, le récit, écrit en 2007, ne pouvait pas intégrer le voyeurisme et l’intelligence collective des réseaux sociaux. Leur impact est pourtant phénoménal, car ils rendent les mouvements sociaux plus transparents et nourrissent les rumeurs et les manipulations psychologiques.

Si l’absence d’internet et des réseaux sociaux rend l’histoire irréaliste, La Lucidité est tout de même un roman hyper intéressant sur le plan politique. À force d’être déresponsabilisés, nous finissons par croire que l’élection d’une élite est indispensable pour que la démocratie existe. Mais le peuple est capable de vivre en harmonie dans un espace commun, et la vraie démocratie est participative, avec des représentants en dialogue avec des comités de citoyens.

1. Page 15.

Du même auteur

L’Aveuglement

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Saramago, l'entretien par Didier Jacob

La Lucidité
(Ensaio sobre a Lucidez, titre original)
Traduit du portugais par Geneviève Leibrich
José Saramago
Seuil
2007
360 pages
22 euros

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Commenter cet article
A
Ce ne sont pas les élections présidentielles mais municipales dans la capitale d'un pays inconnu !!
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L
Il peut se lire indépendamment de L'Aveuglement, mais c'est quand même un plus d'avoir lu l'autre en premier ;)
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K
Le thème est chouette ! Ca me plait bien ! Je note.
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L
C'est bien ce que je recherche dans toutes mes lectures, qu'elles soient fictionnelles ou non ; et même si je n'aime pas trop le style littéraire de Saramago, j'ai envie de le lire en entier car cet écrivain faisait de la littérature engagée !
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A
Un roman qui nous parle des travers de la société. Je note.
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