Séoul. Le narrateur, Dongkyu, témoigne de l'histoire de Jeï, un jeune homme né dans les toilettes publiques d'une mère adolescente. Recueilli puis abandonné, Jeï mène une vie de vagabond. Autodidacte, empathique et ascète, Jeï développe une grande sensibilité envers les autres, qu'ils soient humains, animaux ou objets. Il ressent la souffrance et fait corps avec l'autre.
Très vite, il sait qu'il n'est pas comme les autres. Conscient de la misère, de la précarité et de l'exclusion d'une frange de la jeunesse sud-coréenne dont il fait partie, il sent bouillir en lui une colère que rien ne peut éteindre. Chaque jour, il voit les jeunes qui vivent dans la rue, en marge de la société, qui se prostituent et sont persécutés dans le déni le plus total. Chaque jour, il voit comment ces jeunes, qui ne sont pas faits pour les études ou qui n'ont pas les moyens de les payer, sont traités comme des chiens par la société sud-coréenne.
Hors du commun, doté d'une aura mystérieuse et envoûtante, Jeï est écouté de ses semblables. Il sent qu'il est voué à faire quelque chose d'exceptionnel. Il ignore encore comment utiliser son don de sensibilité, mais il sait qu'il entrera dans la légende.
J'entends ta voix, sorte de roman biographique, raconte l'histoire de Jeï, un jeune homme de Séoul qui a été le leader, ou le gourou, d'une bande de jeunes vagabonds sud-coréens. Jeï a vraiment existé, et si le roman de Kim Young-ha a pu naître, c'est parce qu'il a rencontré Dongkyu, son ami d'enfance, qui lui a confié tous ses souvenirs et ses journaux intimes.
Bien documenté, Kim Young-ha donne à voir un monde souterrain violent, précaire, dégradant, ignoré ou nié par l'État et la majorité de la population. Cette jeunesse muette, qui occupe la couche sociale la plus basse avec des jobs de merde ou humiliants, ne parvient pas à crier sa colère à la face du monde. Seule la police, qui se confronte à elle et abuse de sa position de pouvoir, l'entend et la réprime. Dans ce contexte, on observe les rapports de domination entre les individus, les pressions sociales qui s'exercent sur les individus, la formation des groupes et des leaderships.
Kim Young-ha, auteur résolument engagé et sensible, nous livre un texte fort, porté par la légende de Jeï, et publié par les éditions Philippe Picquier. Encore une belle découverte coréenne !
« Ce que décrivait Jeï, c’était exactement ce que j'étais en train de vivre. La seule odeur de la pizza me donnait la nausée. Chaque nuit, épuisé, en m'endormant je me demandais si je ne devais pas rentrer à la maison et retourner en cours. Dans ce cas, j'aurais bénéficié d'une illusoire sécurité pendant deux ans au maximum. Ensuite, avec les mauvaises notes que j'aurais eues, je n'aurais aucune chance d'intégrer une bonne université. Retourner en classe n'avait donc pas de sens. Pour autant, je n'aimais pas la vie que je menais. Les jeunes dans la précarité étaient au même niveau que les immigrés clandestins, ou presque. Ils touchaient le minimum et se faisaient humilier, mais ils ne pouvaient rien dire. La plupart n'avaient même pas conscience d'être traités comme des chiens2. »
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1. Page 146. -2. Pages 183-184.
J'entends ta voix Kim Young-ha
(titre original : Noewi moksorika deulyeo)
Traduit du coréen par Kim Young-sook et Arnauld Le Brusq
Éditions Philippe Picquier
2015
320 pages
19,50 euros