Le premier roman de Dorothy Allison, autobiographique qui plus est, raconte l’enfance terrible de Bone, victime de maltraitance dans une famille pauvre. Ni voyeuriste ni racoleur, ce roman est surtout un bel hommage à la femme et à la mère, et révèle une autrice injustement peu connue en France. Une autrice qui me fait penser autant à Harper Lee qu'à John Fante !
Dans les années 1950-1960, Bone vit avec sa mère et sa petite sœur dans une petite ville en Caroline du Sud. Ruth Anne Boatwright, de son vrai nom, raconte à la première personne ses souvenirs d’enfance, ses aspirations, et l’adolescence qui vient. Son histoire est intimement mêlée à celle de sa mère qui l’a eu à 15 ans d’un père inconnu, et de ses tantes et oncles qui semblent lutter continuellement pour leur survie. Tandis que les premières se tuent à la tâche pour trouver un travail, assurer la vie de famille et tenter de s’émanciper, les seconds se soûlent et se bagarrent entre deux séjours en prison.
« Grandir, c’était un peu comme tomber dans un trou. Les garçons quittaient l’école et, tôt ou tard, allaient en prison pour quelque histoire idiote. Je ne quitterais peut-être pas l’école, pas tant que maman aurait son mot à dire, mais qu’est-ce que ça changerait ? Qu’est-ce que je serais dans cinq ans ? Ouvrière à l’usine textile ? Serveuse au petit restaurant, comme maman ? Tout me paraissait bien sombre. Pas étonnant si les gens devenaient fous en grandissant2. »
Lorsque la mère de Bone se marie avec Glen, celui-ci ne fait pas l’unanimité chez les Boatwright. Possessif, orgueilleux et évoluant dans une relation exclusive avec sa mère, Glen demande à ses belles-filles de l’appeler « papa ». Bone raconte alors la violence quotidienne de ce beau-père irresponsable et impulsif, et l’évolution de sa relation avec sa mère, elle-même trop jeune, désemparée et assoiffée d’amour pour assurer la sécurité de sa fille. Bone grandit dans la colère, la honte, le dégoût de soi, jusqu’au dénouement final qui nous laisse sur le cul.
Il y a des gens qui ne devraient pas avoir d’enfants, mais la parentalité étant vécue comme une norme sociale et la contraception n’ayant pas toujours été fiable, de nombreux enfants naissent par le monde sans être destinés au bonheur.
Le premier roman de Dorothy Allison, autobiographique qui plus est, est un réel hommage à la femme et à la mère, et amorce les thèmes qui sont chers à l’autrice : la relation mère-fille, l’émancipation féminine et sexuelle, l’échec social de génération en génération.
Dans le roman, la place de la mère est centrale, car si celle-ci tente de subvenir aux besoins de la famille, elle ne parvient pas à assurer la sécurité de sa fille. Elle est dans un tiraillement constant entre son devoir de très jeune mère de famille et le besoin légitime de vivre une histoire d’amour passionnelle, ce que Bone pourra lui reprocher en grandissant. Bone muselle sa souffrance pour ne pas entacher le bonheur conjugal de sa mère, mais finit par la détester. Somme toute, c’est un très beau roman sur la relation à la mère, un roman fait d’amour, de violence et de pardon.
L’écriture de ce roman a du être à la fois un supplice et une libération pour l’autrice, puisque c’est aussi un texte sur la violence familiale et l’abus sexuel et la manière dont la détestation de soi s’installe. On est pourtant loin du côté voyeuriste ou racoleur, car si ces évènements sont bel et bien racontés, ils ne monopolisent pas la narration : c'est aussi un récit sur l'enfance et l'adolescence.
Voilà donc une autrice importante à rencontrer, qui en de nombreux points fait penser à Harper Lee (Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur) : l’enfance et les frasques d’une fille bagarreuse, qui aime lire, et qui évolue en Amérique profonde parmi des gens mal dégrossis, bigots et racistes.
L’Histoire de Bone est un roman puissant qui semble pourtant ne pas avoir eu tant d’échos en France. Raison de plus pour s’emparer de l’œuvre de Dorothy Allison pour laquelle j’ai un énorme coup de cœur !
Deux ou trois choses dont je suis sûre
Littérature
Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur Harper Lee
Dandy Richard Krawiec
Arpenter la nuit Leila Mottley
A Suspicious River Laura Kasischke
L'Œil le plus bleu Toni Morrison
Un petit boulot Iain Levison
Frankie Addams Carson McCullers
La Route de Los Angeles et Bandini de John Fante
Le Ciel tout autour Amanda Eyre Ward
Récits
La révolte à perpétuité Sante Notarnicola
Essais
Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges Christelle Murhula
Moi les hommes, je les déteste Pauline Harmange
Des femmes et du style. Pour un feminist gaze Azélie Fayolle
Libérées Titiou Lecoq
Le Ventre des femmes Françoise Vergès
Bandes dessinées
Corps à coeur Coeur à corps Léa Castor
Camel Joe Claire Duplan
L’Histoire de Bone
(Bastard out of Carolina)
Traduit de l’américain par Michèle Valencia
Dorothy Allison
Éditions 10/18
1999
415 pages
10,20 euros
1. Page 39. -2. Page 244.