Émilie Tôn
Éditions Hors d’atteinte
2022
(rentrée littéraire)
Merci à Babelio pour son opération Masse critique
Dans Des rêves d’or et d’acier, le père d’Émilie Tôn raconte son enfance au Viet Nam et au Cambodge des années 1960 aux années 1980, avant d'arriver en France en tant que réfugié. À travers son parcours douloureux rejaillit l’histoire de l’Asie récente du Sud-Est : la famine et la pauvreté, la guerre d’Indochine puis l’instauration du régime autoritaire du Parti communiste, la terreur et les camps de « rééducation », les restrictions, les camps réfugiés puis l’exil…
Comme tant d’autres, la famille de Liêm a émigré en Europe et aux États-Unis pour espérer un avenir meilleur. Mais, en France, la vie n’est pas meilleure. Le déclassement social commencé en Asie ne s’est pas arrêté en arrivant en Lorraine. Celui qu’on appelle le « Chinois » est désormais réduit au statut de réfugié, d’étranger, d’ouvrier, de travailleur pauvre, de chômeur au corps brisé par le travail en usine.
Liêm vit toujours dans la colère et la déception. Il a sans cesse été balloté au gré des événements historiques. Lui qui ne se voyait absolument pas vivre en France et qui n’éprouve pas cet amour républicain qu’on exige des réfugié·es et des immigré·es se considère comme une personne déracinée, comme un « arbre sans racines3 ». Sans cesse, Liêm se dit que sa vie aurait pu être différente. Sans cesse, la guerre et l’exil ont empêché cet homme et sa famille de vivre une vie digne et heureuse et de réaliser leurs rêves.
Pourtant, l’espoir et l’ambition sont toujours vivaces d’offrir à ses filles une vie meilleure que la sienne, même si Liêm doit se sacrifier pour cela. Il croit toujours que ses filles pourront faire de grandes études, avoir une belle carrière, niant le mécanisme profondément figé et cloisonné de la hiérarchie sociale qui ne permettra jamais à des filles d’ouvrier d’accéder à des positions de pouvoir. Dans mon enfance, j’entendais souvent cette phrase : « Si tu ne travailles pas à l’école, tu finiras femme de ménage comme ta tante… »
Si cette saga familiale a pu voir le jour, c’est parce que Liêm ne s’est pas emmuré dans le silence. Il ne veut pas être réduit aux identités qu’on lui colle en France. Au contraire, il a envie de partager son vécu, il a offert à sa fille Émilie son histoire, son identité plurielle, riche, irréductible, à cheval entre deux cultures, ce qui provoque parfois des tensions et des incompréhensions au sein de la famille. C’est une chance pour elle, et une chance pour nous ! Moi aussi, j’aurais aimé qu’on me raconte mon histoire familiale, pour qu’elle ne tombe pas dans l’oubli, pour savoir d’où je viens.
Avec ce premier roman, qui a beaucoup de points communs avec L’Art de perdre d’Alice Zeniter, j’ai versé beaucoup de larmes. L’immersion et l’authenticité étaient telles que je l’ai lu en 3 jours ! Par petites touches, le vécu de Liêm et celui de la jeune Émilie Tôn s’entrecroisent et s’entrechoquent. Le portrait de Liêm est très touchant, les liens familiaux sont très beaux et très forts, malgré toutes les violences qui émaillent cette histoire. Et il faut avoir le cœur bien accroché, car rares sont les romans qui m’ont fait sentir avec une telle acuité ce que c’est que de sentir le poids de l’Histoire collective sur la destinée d’une personne.
Merci à Liêm d’avoir transmis son histoire, merci à l’autrice d’avoir su la retranscrire avec des mots et la nourrir grâce à ses recherches et ses voyages, merci aux éditions indépendantes Hors d’atteinte de l’avoir publiée.
Alice Zeniter L’Art de perdre
Susan Abulhawa Le bleu entre le ciel et la mer
Jean-Pierre Levaray Je vous écris de l'usine
Emma Goldman Vivre ma vie
Makan Kebe « Arrête-toi ! »
Elena Balzamo Cinq histoires russes
Gaël Faye Petit pays
Young-ha Kim Fleur noire
Paola Pigani Venus d'ailleurs
Erika Nomeni L’amour de nous-mêmes
Mélinée Le Priol et Chloé Rouveyrolles Les Palestiniens
Des rêves d’or et d’acier
Émilie Ton
Éditions Hors d’atteinte
2022
300 pages
21,50 euros
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