Pauline Harmange
Éditions Monstrograph
2020
Notre féminisme (pas celui qu’on nous vend, en mode « circulez, y a rien à voir, en France les femmes ont obtenu l’égalité ») naît des violences plus ou moins banalisées que nous subissons depuis toujours au sein d’une société hétéropatriarcale. Pour rappel, en 2019, 149 femmes sont mortes assassinées par leur compagnon ou ex-compagnon. Chaque année, plus de 50 000 femmes sont victimes de viol et 370 000 de tentatives de viol ; plus de 500 000 femmes majeures sont victimes de violences sexuelles de toute nature, sans parler de la pédocriminalité. Si vous aviez plusieurs heures à me consacrer, je pourrais aussi longuement traiter des discriminations au travail et de la précarisation, de la charge mentale et du travail bénévole des femmes à la maison, du harcèlement de rue et du sexisme ordinaire, du droit à disposer de nos corps qui est toujours menacé.
Les faits sont là. De ces statistiques, de ces études, des articles de journaux, des livres, de nos expériences en tant que femmes découlent une évidence : le problème, ce sont les hommes et leur masculinité toxique. Si bien que la méfiance généralisée envers les hommes relève, comme le dit si bien Pauline Harmange, d’un principe de précaution. En somme, d’une défense bien légitime. Combien de femmes n’ont pas été au mieux déçues, au pire brutalisées par un homme ?
Certes, les hommes ne sont pas tous misogynes, mais, puisque tous les auteurs des violences faites aux femmes sont des hommes, puisqu’on invisibilise la responsabilité masculine en parlant toujours de « violences faites aux femmes », puisqu’on inculpe toujours les victimes d’agressions sexuelles (comment était-elle habillée ? l’a-t-elle cherché ?), il est nécessaire de rendre visibles l’oppression masculine, ainsi que son caractère politique, sociétal, systémique, généralisé, et d’invoquer la misandrie comme une maxime défensive. La misandrie vient d’une colère libératrice et justifiée.
Quant aux hommes, ce n’est pas la peine de vous offusquer d’une telle généralisation, ni de dire que vous n’êtes pas comme ça, de tout rapporter à vous, surtout depuis que de nombreuses femmes témoignent avec courage des souffrances qu’elles ont subies, et qui sont sans commune mesure avec vos questionnements sur la manière d’aborder les femmes après le mouvement émancipateur #metoo. Agissez d’égale à égal avec celles qui vous entourent, écoutez les témoignages des femmes courageuses et des survivantes, profitez des espaces de parole qui vous sont proposés pour les donner aux militantes féministes qui en sont privés, et militez pour la déconstruction de la masculinité, laquelle est néfaste même pour vous (j’y reviendrai dans ma chronique du Sexisme, une affaire d’hommes de Valérie Rey-Robert).
La misandrie est la clé de notre émancipation, c’est une « manière de dire non à chaque respiration4 ». Pour moi, la misandrie, c’est se passer du regard des hommes, de leurs jugements, de leurs opinions. Depuis toujours, nous sommes éduquées à être dépendantes d’eux, à vouloir leur plaire, à désirer des relations avec eux, à supporter leurs défauts et à nous sacrifier pour eux (coucou la charge mentale).
Pour moi, c’est ne plus vouloir être l’objet du désir masculin, ne plus me considérer comme quelque chose qui doit être admiré et validé par le regard masculin, ne plus répondre aux mille injonctions qui nous contraignent (être de bonnes mères, de bonnes compagnes, de bonnes travailleuses). On passe beaucoup de temps à être une « meilleure » version de nous-mêmes, à nous perfectionner, à nous remettre en question, alors que les hommes paraissent bien souvent arrogants, paresseux et confortablement installés dans leurs certitudes et leur situation.
C’est ne plus mettre les hommes sur un piédestal, qu’ils ne méritent pas d’ailleurs. La vérité, c’est que nous n’avons pas besoin d’eux pour nous construire, et que nous sommes souvent bien plus heureuses sans eux… et entre nous. C’est peut-être cela qui effraie le plus les masculinistes, qui voient le contrôle masculin diminuer. Pourtant, ne pas avoir beaucoup d’estime pour les hommes n’est pas quelque chose de dangereux, contrairement à la misogynie, au sexisme et à l’hétéropatriarcat qui forment un système de domination. Qu’avons-nous fait aux hommes pour qu’ils nous détestent, nous agressent et nous tuent ?
À plusieurs égards, le parcours de Pauline Harmange semble proche du mien, c’est pourquoi j’ai longtemps attendu la parution de son ouvrage. Même si je me sentais féministe depuis l’adolescence, je n’ai véritablement exploré le féminisme que lorsque j’étais avec mon compagnon. Même s’il m’exaspère parfois, il me rend heureuse depuis dix ans. Nos visions du monde coïncident, c’est l’homme de ma vie, c’est viscéral et évident, et rien ne semble pouvoir nous séparer. Mais, comme l’autrice, si je me retrouvais seule un jour, je ne me verrais pas vivre une relation sérieuse, profonde et épanouissante avec une personne qui n’a pas questionné son éducation de garçon. Bien sûr, j’ai noué des liens enrichissants avec d’autres hommes de mon entourage , mais ces relations sont moins intenses que la réciprocité, la sororité que je partage avec les femmes de ma vie.
Comme on pouvait largement s’y attendre, la parution de cet ouvrage il y a deux semaines n’a pas tardé à provoquer les attaques des masculinistes, rien qu’à l’énonciation du titre. Toutefois, on ne pouvait espérer mieux comme effet Streisand que les menaces de Ralph Zurmély, chargé de mission au ministère délégué à l’égalité femmes-hommes, pour faire la publicité d’un ouvrage publié par une minuscule maison d’édition associative inconnue du grand public !
Pauline Harmange a l’immense mérite de coucher sur le papier certaines vérités, pourtant évidentes, mais qui en font trembler encore beaucoup. Critiquer la masculinité, s’affranchir du regard masculin, même dans la France de 2020, peut s’avérer dangereux. Pourtant, il me semble indispensable de montrer à quel point c’est la masculinité qui est problématique, afin de mettre les hommes face à leur culpabilité. Nous cesserons d’être misandres le jour où les comportements auront changé, le jour où nous n’aurons plus à rester sur nos gardes en présence d’un homme, qu’il soit inconnu ou familier, dans un métro ou dans une pièce fermée.
Gageons que ce petit ouvrage, d’une très belle fabrication, avec un beau papier et une maquette soignée (déformation professionnelle), suscite la sororité, l’adelphité, et encourage les hommes à questionner la masculinité.
Essais
Une culture du viol à la française Valérie Rey-Robert
Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! Éliane Viennot
Tirons la langue Davy Borde
Le Deuxième Sexe 1 Simone de Beauvoir
Beauté fatale Mona Chollet
Le Ventre des femmes Françoise Vergès
Ceci est mon sang Elise Thiébaut
Masculin/Féminin 1 Françoise Héritier
Libérées Titiou Lecoq
Les Humilié·es Rozenn Le Carboulec
Amours silenciées. Repenser la révolution romantique depuis les marges Christelle Murhula
Non c'est non Irène Zeilinger
Nous sommes tous des féministes Chimamanda Ngozi Adichie
Manifeste d'une femme trans Julia Serano
Pas d'enfants, ça se défend ! Nathalie Six (pas de chronique mais c'est un livre super !)
Le Chœur des femmes Martin Winckler
Vous vouliez ma chaleur, vous aurez mon feu Paulo Higgins
Une si longue lettre Mariama Bâ
L'Œil le plus bleu Toni Morrison
Le Cantique de Meméia Heloneida Studart
Instinct primaire Pia Petersen
Histoire d'Awu Justine Mintsa
Une femme à Berlin Anonyme
On ne naît pas grosse Gabrielle Deydier
Bandes dessinées
Camel Joe Claire Duplan
Corps à coeur Coeur à corps Léa Castor
1. Page 38. -2. Page 30. -3. Page 64. -4. Page 12. -5. Pages 23-24. -6. Page 19.
Moi les hommes, je les déteste
Pauline Harmange
Éditions Monstrograph
2020
96 pages
12 euros
Pour ne pas manquer les prochaines chroniques, inscrivez-vous à la newsletter !
Suivez-moi sur Instagram !