Thierry Maricourt
Éditions Agone
2003
Le personnage de ce roman, une jeune femme de 25 ans, ne s’est pas rendu au travail ce matin. Elle a trop bu la veille, a préféré appeler le médecin et doit maintenant aller à la pharmacie et déposer son arrêt maladie. Mais elle se laisse entraîner par un copain pour aller boire un verre, et une chose en amenant une autre, le temps passe.
En pleine détresse, elle a l’impression que sa vie lui échappe, et elle verse dans les excès. Des bouffées de peur la paralysent, les actes les plus banals lui semblent insurmontables. Le sentiment d’être à la fois anonyme et surveillée par une société aliénante lui fait prendre un verre, puis un autre.
« Elle ne veut pas s’enivrer, mais une canette, pour remplacer cette pisse d’âne sans saveur, ne lui fera pas de mal. Après, promis promis, elle se savonne, se coiffe et se parfume, elle court à la pharmacie et poste son arrêt maladie2. »
Elle est prise dans un cercle infernal, entre bonnes résolutions sans cesse repoussées et mauvais départs, entre découragements et déchéance. Elle a besoin de temps pour se remettre d’aplomb, affronter les souvenirs de l’enfance, redevenir propriétaire de sa vie. Il lui faut réhabiliter son corps de femme, apprendre à l’aimer et le respecter. Mais les jours s’écoulent, inexorablement, vers le moment où il lui faudra retourner travailler, et s’enliser dans un quotidien qui la rend malade.
Un petit verre et après, après, elle ira poster son arrêt maladie.
« Cinq jours par semaine et plus de quatre dizaines et demie de semaines dans l’année. Quelle autre solution pour manger à sa faim ? assènent les bonnes âmes jamais en mal de conseils calamiteux. Elle ne détient pas de réponse, mais regrette que ce cycle soit inéluctable.
Parfois, il lui arrive de ne pas se rendre au travail. Pas de raison précise, même pas l’intention par un jour de soleil d’aller se promener ou de passer un bon moment avec un quelconque compagnon, juste le souhait d’égrener les heures sans rendre de comptes ni de tralalas à des chefs3. »
Le Cœur au ventre est un roman dérangeant et déprimant sur l’impossibilité de s’épanouir entre les interstices que laisse le travail et sur la dépendance à l’alcool, à la fois si banale et sinistre. L’écriture est urgente, nerveuse, faite de phrases courtes. La jeune femme dont il est question, alcoolique, isolée et dépressive, est une anonyme qui pourrait être notre voisine, notre collègue, quelqu’un qu’on remarque peu, qui nous intéresse peu.
L’alcoolisme est un thème rarement abordé de manière centrale, mais ce fléau est assez répandu pour être banalisé. Bien que l’idée de fond soit intéressante, il aurait fallu approfondir le travail de dénonciation, ou bien creuser davantage l’histoire personnelle de cette jeune femme pour faire de ce court roman un texte percutant. Pour autant, il correspond bien au catalogue des éditions Agone, fidèles à leur projet d’émancipation politique et sociale, qui montrent que la littérature n’est pas qu’une source de plaisir, mais aussi un instrument de savoir et un moyen de prendre position.
La Tête hors de l'eau Dan Fante
En crachant du haut des buildings Dan Fante
Retour à Cayro Dorothy Allison
Le Dernier Verre Daniel Schreiber
1. Page 9. -2. Page 61. -3. Page 41.
Le Cœur au ventre
Thierry Maricourt
Éditions Agone
Collection Manufacture de proses
2003
112 pages
11 euros