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La Terre ≡ Émile Zola

La Terre

Émile Zola

Georges Charpentier

1887

 

 

 

Ah, le bonheur oublié de plonger dans un roman de Zola ! Voilà  presque une décennie que je n’avais pas lu ses tournures délicieusement désuètes, ses virgules si nombreuses et si importantes, son attachement à décrire précisément les gens. La Terre, le quinzième tome des Rougon-Macquart, est consacré à la condition paysanne et à l’histoire de Jean Macquart, le frère de Gervaise dans L’Assommoir.

« Il avait aimé la terre en femme qui tue et pour qui on assassine. Ni épouse, ni enfants, ni personne, rien d’humain : la terre1 ! »

« Vous êtes une race finie, l’amour imbécile de la terre vous a mangés, oui ! du lopin de terre dont vous restez l’esclave, qui vous a rétréci l’intelligence, pour qui vous assassineriez ! Voilà des siècles que vous êtes mariés à la terre, et qu’elle vous trompe2… »

La Terre, le quinzième tome des Rougon-Macquart, est consacré à la condition paysanne. Il raconte l’histoire de Jean Macquart, le frère de Gervaise dans L’Assommoir, qui vit depuis quelques années dans la Beauce, à Rognes, un petit village près de Chartres. Émilie Aubert, la mère d’Émile Zola, est originaire de la Beauce. Jean y côtoie plusieurs familles paysannes, installées depuis plusieurs générations dans la région, dont les Fouan. Le père Fouan, trop âgé pour cultiver ses terres, décide de les donner en partage à ses trois enfants : Hyacinthe, dit Jésus-Christ, l’ivrogne qui a renoncé à la terre, Fanny qui a épousé Delhomme, et Buteau, le plus avare des trois. Ce partage fera l’objet de rivalités, de querelles, de coups bas, autour de la propriété agraire.

Avec La Terre, Zola s’attache à montrer les mœurs paysannes. Les hommes et les femmes s’épuisent à la tâche, dans la succession monotone et cyclique des journées, des saisons et des années. Leur amour de la terre est un acharnement sans bornes pour vivre de leurs cultures, acheter de nouveaux lopins de terre et arracher une part d’héritage à leurs parents, à tout prix.

Les sols, trop sollicités et mal nourris, s’appauvrissent tout au long du XIXe siècle ; les rendements s’amenuisent. Tandis que les Fouan, méfiant·e·s envers la science et l’éducation, perpétuent leur savoir-faire ancestral, le maire du village, Hourdequin, s’endette pour acheter des machines et tente différents engrais, à l’image de sa voisine qui utilise les selles humaines pour fertiliser ses terres. Leur méfiance se porte aussi sur la religion, car finalement Dieu ne les a pas aidé·e·s à améliorer les récoltes.

« Le vieux n’en dormait plus. Cette terre que son père, son grand-père, avaient convoitée si fort et si durement gagnée ! cette terre possédée, gardée jalousement comme une femme à soi ! la voir s’émietter ainsi dans les procès, se déprécier, passer aux bras d’un autre, d’un voisin, pour la moitié de son prix ! Il en frémissait de rage, il en avait le cœur si crevé, qu’il en sanglotait comme un enfant3. »

Les paysan·ne·s sont écrasé·e·s par les impôts et le prix de vente des céréales de plus en plus faible. L’antagonisme est profond avec le monde ouvrier (représenté par le personnage de Canon), qui tue la paysannerie : si on baisse le prix du blé, les ouvrier·ère·s pourront certes l’acheter, mais les paysan·ne·s n’auront plus de quoi vivre. Avec l’épisode des élections et les positions du maître d’école Lequeu, Zola semble aussi montrer un certain laisser-aller politique des gens ruraux, qui votent aveuglément pour l’ami de l’empereur. Les paysan·ne·s, alors majoritaires en France, représentent pourtant une force susceptible d’influer sur le plan politique.

Violent·e·s, méchant·e·s, ivrognes, avares, calculateur·rice·s, lubriques, incestueux… Tout au long du roman, les paysan·ne·s apparaissent comme brutaux·ales, rustres, ayant peu de conscience, mais joyeux·ses et bon·ne·s vivant·e·s. Il·elle·s sont souvent comparé·e·s par Zola à des animaux, voire à des insectes. Les vieux et les vieilles, une fois qu’il·elle·s n’ont plus d’utilité dans les champs, sont maltraité·e·s par leurs enfants qui n’attendent que leur mort pour récupérer leur fortune laborieusement amassée. On retrouve, comme dans toute l’œuvre de Zola, l’ascension suivie de l’écroulement et de la misère. La condition des femmes est terrible ; si elles ne sont pas épargnées par le travail des champs, elles sont engrossées comme un four à pain, derrière une meule de foin, au bon vouloir des hommes, et traitées au même titre que les lopins de terre : c’est un bien dont on dispose et qui, par le jeu des alliances, peut rapporter des sous.

« Un vieux, ça ne sert à rien et ça coûte. Lui-même avait souhaité la fin de son père. Si, à leur tour, ses enfants désiraient la sienne, il n’en ressentait ni étonnement ni chagrin. Ça devait être4. »

Ce roman est décrit comme le plus cruel de la série, et pour cause ! Le portrait de la paysannerie est peu flatteur, et Zola, dans sa posture d’intellectuel, semble nourrir une hostilité certainement injuste envers les campagnes, mais il puise l’inspiration dans des faits divers glanés dans les journaux et auprès de ses domestiques. Ce sont ces passages violents, brutes, qui en font un roman terrible, impressionnant, inoubliable et plein de rebondissements dignes d’un polar paysan ! Certaines scènes me marqueront longtemps ! J’ai adoré lire La Terre, et je suis super motivée pour lire à nouveau des classiques, et en particulier Zola dont la démarche et le style me parlent beaucoup.

« La terre, gueula-t-il, mais elle se fout de toi, la terre ! Tu es son esclave, elle te prend ton plaisir, tes forces, ta vie, imbécile ! et elle ne te fait seulement pas riche5 !... »

Du même auteur

La Fortune des Rougon, tome 1 des Rougon-Macquart

La Curée, tome 2

Le Ventre de Paris, tome 3

La Conquête de Plassans, tome 4

 

1. Page 46. -2. Page -3. Page 354. -4. Page 461. -5. Page 257.

La Terre

Émile Zola

Préface d’Emmanuel Le Roy Ladurie

Édition d’Henri Mitterand

Éditions Gallimard

Collection Folio classique

2011

606 pages

5,90 euros

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A
On sent que tu as aimé ce roman fort.
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P
J'ai découvert Zola et les Rougon-Macquart il y a plus de 40 ans, grâce à une prof. de Français. Je suis tombée dedans pour n'en jamais ressortir. Je les ai tous lus, plusieurs fois. J'ai adoré la Terre mais surtout Thérèse Raquin et l' Assommoir.<br /> Merci de ce merveilleux rappel ! 
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