Dans le Michigan, Jared Snowe, le flic typique du genre « Je suis entré dans la police pour rendre le monde meilleur2 », désireux de faire respecter la loi, découvre qu’il a le pouvoir de lire dans les pensées des gens. Il lui aura fallu cinq minutes pour en apprendre plus sur les désirs et les orientations sexuelles de ses collègues qu’en plusieurs années de carrière ! Mais, très vite, passée la surprise de posséder ce don, la question essentielle se pose : comment utiliser ses pouvoirs en tant que flic ?
Denny Brooks, condamné à mort dans l’Oklahoma pour meurtre, possède lui aussi des dons de télépathie qui semblent intéresser le FBI… Une cellule spéciale et ultra-secrète veut l’engager pour une mission diplomatique. Qui sont ces « ils » du titre ? Les télépathes, ou bien cette cellule secrète qui semble déjà tout savoir sur lui ?
Ils savent tout de vous, encore un livre de Iain Levison qui fait mouche : à la fois drôle, voire cynique, fluide et dénonciateur.
Drôle parce qu’en alternant les points de vue dans un récit rondement mené, il rend certaines situations délicieuses entre ceux qui lisent dans les pensées et ceux qui ne le peuvent pas. Avec les personnages de Jared Snowe et Denny Brooks, il met le flic et le voleur dans le même camp, celui de la télépathie. Et forcément, cela fait des étincelles. Le récit est marrant, mais empreint de cynisme, car c’est toujours aux dépens du système américain que l’auteur s’emploie à démonter dans chacun de ses romans (comme Obama, page 164).
Il aborde des thèmes particulièrement intéressants. Outre les thèmes propres à l’œuvre de Iain Levison, tous corrélés aux dérives du capitalisme (les inégalités sociales, le racisme, la ségrégation spatiale…), deux fils rouge encadrent ce roman.
Le premier est la surveillance généralisée : à quel moment la protection du citoyen par la surveillance devient-elle contrôle, voyeurisme et atteinte à la vie privée ? Jusqu’où la société ira-t-elle dans l’espionnage des faits et gestes des citoyens, pour des actions prétendument terroristes, grâce aux ordis, aux téléphones, aux drones ? Les possibilités démentielles et effrayantes ne relèvent pas de la science-fiction.
Le second fil rouge est la désobéissance civile. Effectivement, chez Levison, il y a cette idée que les individus sont contraints de tordre leur morale pour s’adapter à la société (s’en sortir, avoir un travail et de l’argent...) et qu’ils se retrouvent absorbés dans les normes du système, adhérant complètement à la non-morale du système.
Je pense qu’il critique l’obéissance aveugle, les individus chez qui le comportement d’agent de la société (qui respecte les lois) prend le dessus sur le comportement du citoyen (qui respecte la morale). Dans le roman, Terry Dyer et David Kelly sont la démonstration parfaite des hommes-machines qui ont entièrement assimilé les ordres de la hiérarchie, faisant fi de leur jugement personnel et de leur libre-arbitre. Iain Levison ne dénonce pas la stupidité de ces personnes-là, mais le fait qu’elles n’ont pas d’autre choix que d’obéir si elles veulent rester intégrées à la société (conserver leur travail et leur argent). C’est ce fil rouge qu’on retrouve dans ses autres livres, car Iain Levison préfère donner la parole aux opprimés, à ses personnages toujours en rade et confrontés à des métiers difficiles pour des salaires pourris, qui se retrouvent à opprimer leur prochain parce que cela fait partie de leur métier.
En plus d’être un roman très agréable, Ils savent tout de vous aborde des thématiques passionnantes : Iain Levison est un auteur que j’apprécie particulièrement depuis les débuts de Bibliolingus !
Trois hommes, deux chiens et une langouste
1. Page 91. -2. Page 194. -3. Page 81.
Ils savent tout de vous
(Mindreader, titre original)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Fanchita Gonzalez Batlle
Iain Levison
Liana Levi
2015
240 pages
18 euros